jeudi 10 novembre 2022

"JUSTICE" : QUAND BOLLORE ACCEPTE DE "SACRIFIER SON INNOCENCE" (SOURCE AVOCATE : sic) (b) CONTRE UNE "SIMPLE AMENDE" DE 375.000 € (a), CES 2 PERSONNAGES PRENNENT LEURS CONCITOYEN.NES POUR DES NAÏFS... OU PIRE.

Affaires africaines : Vincent Bolloré met en cause le président du tribunal de Paris

Mis en examen pour « corruption », le milliardaire affirme avoir eu l’engagement de Stéphane Noël de s’en sortir à moindres frais, en évitant tout procès et toute peine de prison, avant même que le dossier ne soit examiné lors d'une audience publique. Le haut magistrat dément catégoriquement.

Fabrice Arfi et Yann Philippin /  Médiapart

9 novembre 2022 à 18h53 

 

Vincent Bolloré avait-il un pacte contre nature avec la justice ? Le milliardaire breton, mis en examen pour « corruption » dans une affaire impliquant deux chefs d’État africains, affirme dans plusieurs documents, dont Mediapart a pu prendre connaissance, avoir eu l’engagement du président du tribunal de Paris de pouvoir s’en sortir à moindres frais, en évitant tout procès et toute peine de prison, avant même que le dossier ne soit examiné lors d’une audience publique.

Poursuivi pour avoir stipendié les présidents Faure Gnassingbé (Togo) et Alpha Condé (Guinée) en échange de l’obtention de marchés de gestion portuaire, Vincent Bolloré a toujours nié, lors de l’enquête, les faits qui lui sont reprochés. Mais en janvier 2021, il a finalement accepté d’engager des négociations avec le Parquet national financier (PNF) en vue de conclure un double accord, ce que le droit prévoit : une convention financière avec l’entreprise Bolloré et un plaider-coupable avec Vincent Bolloré lui-même. Encore fallait-il qu’un juge indépendant – dit « du siège » – valide les deux accords.

Vincent Bolloré, à Paris en 2017. © Photo Zakaria Abdelkafi / AFP

Seulement voilà, devant le tribunal judiciaire de Paris, rien ne s’est passé comme prévu. Le 26 février 2021, la magistrate qui présidait l’audience a bien validé la convention signée avec la personne morale contre le paiement d’une amende de 12 millions d’euros, mais elle a refusé – comme la loi le permet – d’homologuer le plaider-coupable de Vincent Bolloré, estimant que la peine proposée, une simple amende de 375 000 euros (le maximum légal) sans peine de prison (alors que dix années étaient encourues) ni inscription au casier judiciaire, était déraisonnable au regard des faits en cause.

Dans une requête en nullité déposée devant la cour d’appel de Paris, qui se penche jeudi 10 novembre sur le dossier, Vincent Bolloré et ses avocats affirment aujourd’hui que le milliardaire breton avait pourtant reçu en amont l’assurance par le président du tribunal de Paris en personne, Stéphane Noël, que son plaider-coupable passerait comme une lettre à la poste. Ce qui ne serait pas sans poser un grave problème si les faits allégués par Bolloré étaient exacts : un président de tribunal ne peut pas en théorie s’engager, avant l’audience, sur l’issue finale d’une procédure.

Dans leur requête, les trois avocats de Vincent Bolloré, Mes Céline Astolfe, Pierre Cornut-Gentille et Jean Veil, parlent bien pourtant de l’accord judiciaire en question dont le contenu « avait été préalablement concerté et approuvé par le président du tribunal lui-même ».

Le démenti du président du tribunal de Paris

Devant une juge d’instruction, qui a récupéré le dossier après le refus d’homologation de son plaider-coupable, Vincent Bolloré n’a d’ailleurs pas hésité, début 2022, à parler de son « amertume » et de sa « déception », estimant avoir été « piégé » et « trahi » par la justice, selon les termes de son procès-verbal d’audition.

Vincent Bolloré affirme que le président Stéphane Noël avait « validé le principe de cet accord en amont » et devait présider l’audience. Lorsqu’il s’est désisté la veille de l’audience, Vincent Bolloré affirme avoir « reçu personnellement les assurances du Parquet national financier de ce que […] Stéphane Noël […] allait déléguer tout pouvoir à un magistrat qu’il aurait bien entendu informé de l’accord à valider et à homologuer et que tout se passerait comme prévu ».

Sans l’intervention d’un véritable magistrat soucieux de son indépendance et du sens de la justice, cette affaire aurait été un exemple de règlement judiciaire entre-soi.

Me Jérôme Karsenti, l’avocat des associations Anticor et Sherpa

Parties au dossier, l’association anticorruption Anticor et l'ONG Sherpa disent leur effarement devant les faits avancés par Vincent Bolloré. « La défense de Bolloré raconte par le menu le vade-mecum d’une affaire de corruption couverte par un pacte judiciaire. Sans l’intervention d’un véritable magistrat soucieux de son indépendance et du sens de la justice, cette affaire aurait été un exemple de règlement judiciaire entre-soi », affirme Me Jérôme Karsenti, l'avocat des deux organisations.

Sollicité par Mediapart, le président du tribunal de Paris dément, lui, catégoriquement la version de Vincent Bolloré. « Je pense que M. Bolloré joue sur les mots et fait une confusion entre l’accord que j’ai donné pour la tenue d’une audience commune [mêlant la convention de l’entreprise puis le plaider-coupable de la personne physique – ndlr], mais sûrement pas sur son issue. C’est tout simplement impossible ! », réagit Stéphane Noël.

« Il est vrai que M. Bolloré comme son avocat voulaient des garanties dans cette procédure. Mais je n’en donne jamais, pas plus que je ne rencontre les parties ou leurs avocats avant », ajoute-t-il, précisant que M. Bolloré fait probablement preuve ici d’« une méconnaissance des subtilités de la procédure ».

Dans leur requête, les avocats de Vincent Bolloré s’appuient, pour justifier le deal qu’ils disent avoir passé avec Stéphane Noël, sur une circulaire de 2004 du ministère de la justice, laquelle prévoit que des « concertations préalables » au plaider-coupable peuvent être « menées entre les magistrats du siège et du parquet », au cours desquelles « des critères sont dégagés pour permettre des propositions de peines susceptibles de faire l’objet d’une homologation ».

Sollicitée par Mediapart, l’une de ses conseils, Me Céline Astolfe, indique qu’« il n’est pas question ici de dire que le juge ne peut pas juger en pleine liberté et indépendance », mais réaffirme « qu’en application de la circulaire, le chef de juridiction avait, par définition, validé le principe du recours à la CRPC [le plaider coupable – ndlr] et la proposition de peine, étant rappelé que tous les acteurs judiciaires se félicitaient d’un accord global » incluant le groupe Bolloré et les personnes physiques, « qui était une première en matière de justice négociée » [voir l'intégralité de sa réponse en annexe de cet article].

Plusieurs magistrats interrogés par Mediapart contestent cette interprétation de la circulaire, estimant qu’elle prévoit bien une concertation incluant des magistrats du siège, mais pas le fait que le juge s’engage à l’avance à valider la peine à l’audience.

De son côté, le Parquet national financier assure n’avoir jamais été « informé préalablement à l’audience d’une décision de pré-validation […] concernant respectivement M. Bolloré et la société Bolloré SE ». Un porte-parole du PNF « rappelle que le parquet n’a jamais connaissance des décisions du président avant l’audience et qu’aucune partie, ministère public comme défense, ne peut avoir de certitude sur la future validation par le tribunal d’un accord pénal transactionnel ».

L’affaire avait déjà secoué le tribunal de Paris

Il faut dire que la perspective du plaider-coupable de Vincent Bolloré, mais surtout la clémence de la peine négociée, avait provoqué une bronca inédite au sein du tribunal de Paris, comme Mediapart l’avait déjà raconté. Les présidents et assesseurs des deux chambres correctionnelles spécialisées dans la répression des délits financiers avaient même pris la plume quelques jours avant l’audience Bolloré pour écrire un mail d’alerte au président du tribunal Stéphane Noël, à qui il revenait initialement de valider – ou non – les accords négociés avec le PNF.

Dans leur courrier, les juges disaient craindre de « voir reprocher à la justice financière une nouvelle forme d’impunité », avec « l’image d’une justice “à la carte” pour des justiciables bénéficiant de relais politiques et/ou médiatiques »

L’affaire avait pris encore un autre tour avec la crainte, évoquée par certains magistrats, d’un risque de collusion entre Stéphane Noël et Vincent Bolloré : le magistrat et le fils du milliardaire, Yannick, par ailleurs dirigeant du groupe familial, ont tous deux été membres du même cercle, Le Siècle, rassemblant lors de dîners des personnalités éminentes du monde politique, administratif et économique. Ce club très fermé est souvent tancé pour son opacité et le mélange des genres entre intérêts privés et bien public dont il est le creuset, d’après ses contempteurs. Stéphane Noël avait même intégré quelques jours plus tôt le conseil d’administration du Siècle, avant de quitter le cercle dans les semaines suivantes « afin qu’il n’y ait aucune supputation de quelque ordre que ce soit ».

Stéphane Noël a finalement décidé au dernier moment de ne pas prendre l’audience Bolloré, se laissant substituer par sa vice-présidente, Isabelle Prévost-Desprez, une magistrate spécialiste des questions financières. C’est elle qui, le 26 février 2021, a refusé d’homologuer le plaider-coupable de Vincent Bolloré.

Devant la juge d’instruction et dans sa requête devant la cour d’appel, qui réclame l’annulation de toutes les poursuites contre lui, Vincent Bolloré accuse au contraire la justice de lui avoir tendu un « piège organisé », à l’issue duquel « la présomption d’innocence n’existe plus et a été bafouée ».

Son avocate Me Céline Astofle indique à Mediapart que Vincent Bolloré a accepté de « sacrifier son innocence  (b)  qu’il clame depuis des années » uniquement pour « mettre fin à une procédure inique et interminable qui nuit gravement à l’avenir du groupe et de ses salariés », et à condition qu’un accord global soit conclu au sujet de son entreprise, de lui-même et de ses deux collaborateurs également poursuivis. Elle affirme que « l’accusation est factuellement et juridiquement infondée » dans cette affaire, et que c’est pour cette raison que « le magistrat instructeur et le PNF étaient très favorables à cette solution globale » (lire l’intégralité de la réponse dans l’onglet Prolonger).

Les avocats de Vincent Bolloré affirment que Stéphane Noël aurait cédé aux « pressions » des magistrats qui lui ont écrit avant l’audience, en se désistant au dernier moment et en désignant Isabelle Prévost-Desprez alors qu’elle n’aurait pas dû l’être.

Imaginer qu’avec une proposition de peine comme ça, ça puisse passer l’homologation […], je me suis dit, c’est quasiment un outrage à magistrat !

Isabelle Prévost-Desprez, la juge qui a refusé le plaider-coupable de Bolloré

Les conseils du milliardaire accusent par ailleurs cette magistrate de « partialité », s’appuyant sur ses propos tenus lors d’un colloque, et rapportés dans le livre Le Ministère de l’injustice(1). Selon les auteurs, Isabelle Prévost-Desprez y aurait critiqué le principe de la justice négociée (qu’elle aurait qualifiée « d’erreur absolue ») et la non-inscription des peines au casier judiciaire. Sollicitée par Mediapart, elle n’a pas souhaité faire de commentaire.

Cependant, la plupart des propos cités dans le livre ne concernent pas la justice négociée en général, mais les raisons, explicitées en des termes plus vifs que dans son ordonnance, qui l’ont conduite à refuser la peine négociée par Bolloré : « Imaginer qu’avec une proposition de peine comme ça, ça puisse passer l’homologation […], je me suis dit, c’est quasiment un outrage à magistrat ! »

Les avocats du milliardaire reprochent enfin à la magistrate d’avoir mentionné, dans son ordonnance de validation de la convention avec l’entreprise Bolloré, le fait que Vincent Bolloré avait personnellement plaidé coupable à l’audience. Alors même que la magistrate a refusé de l’homologuer, et que le milliardaire est donc de nouveau présumé innocent.

Cette mention du plaider-coupable dans la convention avec la société Bolloré, publiée sur le site du ministère de la justice, est « interdite par la loi » et rend « impossible le droit à la présomption d’innocence » de Vincent Bolloré dans le cadre d’un futur procès, estiment ses avocats. Ils soulignent que le PNF avait déposé un recours pour « excès de pouvoir » à ce sujet, finalement rejeté, car une telle convention n’est pas susceptible de recours.

Dans ses réquisitions écrites, l’avocat général a rejeté l’annulation des poursuites, mais a requis que soient retirées du dossier judiciaire toutes les pièces mentionnant la procédure de plaider-coupable engagée par Vincent Bolloré et ses collaborateurs. Il appartient désormais à la cour d’appel de trancher.

(1) Pauline Guéna, Jean-Michel Décugis et Marc Leplongeon, « Le Ministère de l’injustice », Grasset, mars 2022.

Fabrice Arfi et Yann Philippin

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