MOURIR PLUTÔT QUE TUER...
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Je viens d'écouter le discours de paix de Jean-Luc Melenchon à Chauny lors de ce 11 novembre.
Immanquablement, quand j'entends le mot "guerre", quand j'entends le mot "paix", je pense à mon grand-père qui était prêt à mourir pour ne pas tuer son frère, son frère inconnu de lui, ne parlant pas sa langue, ne connaissant rien de ses coutumes, de ses croyances, de sa vie, ne connaissant rien de la couleur de ses yeux, de ses cheveux ou de sa peau... mais son frère parce qu'humain comme lui, ouvrier comme lui, innocent comme lui de toute cette violence organisée par les puissants pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec le bien commun...
Mon grand-père, né Proudhon Tirone en 1896 à Tunis de nationalité italienne, d'un père anarchiste qui avait fui la Sicile ou sa riche famille le voyait devenir prêtre et d'une mère paysanne sicilienne amoureuse du noble anarchiste... Une histoire qui commence comme un roman d'Alexandre Dumas !
C'était beau la Tunisie, c'était cosmopolite, c'étaient des cultures, des langues, des religions et des non-religions qui se croisaient, se respectaient, s'entre-apprenaient...
Et puis vint la guerre, la Grande Guerre comme ils disaient !
Grande pour qui ? La guerre n'est jamais grande, la guerre c'est la destruction, le chaos, le sang des pauvres pour augmenter l'argent des riches...
Ce n'est pas grand la guerre, c'est ce que l'humain a crée de plus minable, de plus petit. La seule grandeur est dans la mesure de la destruction qu'elle occasionne et par conséquent dans la mesure de la reconstruction qu'elle oblige et qui rapporte tant à quelques-uns au détriment du malheur des autres !
Tout jeune homme mais déjà cultivé et instruit par son père anarchiste pacifique, mon grand père Proudhon (c'était son prénom, donné en hommage à Pierre-Joseph Proudhon) s'est refusé à faire la guerre quand l'Italie lui a demandé de s'engager.
Sa philosophie c'était :
- je ne veux pas tuer mes frères ouvriers.
Proudhon Tirone était très éduqué mais il avait choisi le métier de carrier, tailleur de pierres, tailleur de pavés dont peut-être certains ont servi en mai 1968, ce dont il était probablement fier !
Aujourd'hui, sur sa tombe, deux objets : un pavé qu'il avait taillé et une pierre qu'il avait gravée lui-même : "Ni dieu ni maître".
Des personnes ont été choquées que cette pierre tombale soit au cimetière au milieu de tombes ornées de crucifix mais la laïcité, c'est la liberté de montrer sa façon de croire ou de non croire, n'est-ce pas ?
Pour ce refus de faire la guerre, ce que l'on appelait pas encore "objecteur de conscience", mon grand-père a d'abord été condamné à mort puis sa condamnation (on n'a jamais su comment ni pourquoi, mon grand-père n'étant pas très volubile sur sa vie personnelle) s'est commuée en séjour en camp de travail en Albanie. Peut-être avaient-ils besoin de main d'œuvre jeune ?
Je regrette de ne pas avoir su comment en apprendre davantage mais le "père Tirone" comme l'appelaient ses collègues n'était pas du genre commode et personne ne pouvait lui tirer les vers du nez ! Il aimait transmettre ses idées et ses connaissances, pas ses sentiments...
Pour lui, être Français, Italien ou Tunisien n'avait pas de sens. il était un humain sur terre. Son métier de tailleur de pierre l'avait fait voyager en Espagne et en France. Quand il a traversé la Creuse, il a entendu chanter l'Internationale dans le village ou il avait aussi rencontré ma grand-mère qui lui avait "tapé dans l'oeil" et il a déclaré :
- C'est mon pays !
Ma grand-mère n'avait quasiment jamais mis les pieds à l'école. Il fallait travailler aux champs et s'occuper des vaches même quand on était une petite fille de 9 ou 10 ans... Mais elle était consciente des choses politiques et son héros c'était Jean Jaurès et elle ne manquait jamais de nous rappeler que Jaurès avait été tué parce qu'il ne voulait pas de la guerre.
La Creuse, une région que mon grand-père n'a jamais plus quittée sauf pour quelques chantiers en Bretagne et dans l'Hérault ou est née ma mère. La Creuse est devenue son pays jusqu'à sa mort.
Quand je regarde tout ça dans le rétroviseur, je me dis que je n'ai guère de mérite d'être une insoumise aujourd'hui.
Mon insoumission est atavique, génétique !
Et c'est Jean-Luc Mélenchon qui, par ses discours et ses actions l'a réveillée et l'a révélée à ma conscience parce qu'entre Jaurès et lui, il n'y avait eu personne.
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