1 million d’« esclaves modernes » au service des consommateurs européens
Octobre 2022. Une mine de cobalt de Shabara, à 50 kilomètres de la ville de Kolwezi (RD Congo). - © Junior Kannah / AFP
Chaque année, la frénétique consommation des Européens est associée à 1,2 million de cas d’esclavage moderne et 4 200 morts, explique une étude inédite. Cette forte demande, notamment en minerais, détruit humains et planète.
À vos démarques, prêts… stoppez ? À deux jours du Black Friday, grande messe de la consommation, une étude inédite vient documenter la face cachée – et plutôt sombre – de nos achats. Smartphone, voiture, électroménager… Ces objets du quotidien sont autant de petites bombes climatiques et humaines.
Chaque année, la consommation des Européens est ainsi associée à 1,2 million de cas d’esclavage moderne et 4 200 accidents du travail mortels dans le monde. Et près de 40 % de l’empreinte totale des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne ont lieu en dehors de nos frontières.
« Les émissions générées hors de nos frontières pour satisfaire les consommateurs européens constituent une très grosse part de nos émissions, souligne Guillaume Lafortune, du réseau des solutions de développement durable des Nations unies (SDSN), à l’origine du rapport. Nous ne pouvons pas faire comme si elles n’existaient pas, juste parce qu’elles sont causées ailleurs. » [1] Notre frénésie consumériste provoque ainsi chaque année 4,7 gigatonnes (Gt) d’émissions de gaz à effet de serre hors de l’Europe, onze fois plus que les émissions de la France.
- Près de 40 % de l’empreinte totale des émissions de gaz à effet de serre de l’Europe ont lieu en dehors de nos frontières. C’est ce qu’on appelle les émissions importées. Flickr / CC BY 2.0 / Jim Bahn
Pour parvenir à ces résultats, le réseau onusien, en partenariat avec l’Université de Sydney, a fait tourner les ordinateurs : « Nous avons combiné les bases de données concernant les flux financiers et commerciaux avec les données satellites sur le travail forcé ou les émissions de CO2 », explique M. Lafortune.
Après s’être intéressés aux conséquences de l’industrie du textile et de l’alimentation, les chercheurs se sont penchés plus précisément sur les minéraux fossiles et bruts. Gaz naturel, pétrole, uranium, cuivre, zinc, pierre, sable, phosphate, sel… Ces ressources extraites des sols et des fonds marins sont en effet indispensables à la production de nos biens et services.
« Les transitions en cours sont particulièrement gourmandes en minerai »
« Ils sont dans beaucoup de nos produits de consommation, abonde M. Lafortune. Et le problème, c’est que les transitions énergétique et digitale en cours – avec les smartphones, les véhicules électriques ou les éoliennes – sont particulièrement gourmandes dans ces minerais. » On est donc loin d’une baisse de la demande.
Autant de ressources essentielles à notre société productiviste… et qui ne se trouvent pas, ou peu, dans les sous-sols européens. Les vingt-sept pays de l’Union européenne sont ainsi fortement dépendants des importations : d’après l’étude, « l’UE a consommé environ 2,7 fois plus de minerais métalliques et 2,9 fois plus d’énergie fossile que la quantité extraite à l’intérieur de ses frontières en 2019 ».
« En Turquie, un travailleur des mines meurt toutes les quatre heures »
Extraction minière, raffinement, assemblage, transport… la production et l’acheminement de ces matières brutes ne sont évidemment pas sans conséquences. Sur la planète, mais aussi sur les humains. « La Chine, l’un des principaux partenaires commerciaux de l’UE, est très concernée, précise M. Lafortune. Ils subissent régulièrement des explosions dans les usines, et les conditions de travail sont loin d’être idéales. » En Turquie, un travailleur meurt toutes les quatre heures dans un accident du travail, nous apprend l’étude. Quant au travail forcé, des cas ont été recensés en Corée du Nord, au Nigeria ou encore en Angola, en particulier dans les mines.
Que faire pour réduire ces effets dévastateurs ? « Il n’y a pas de baguette magique, estime M. Lafortune. Arrêter toutes nos importations n’est pas la solution, car le commerce international est une source de revenus et d’emplois dans nombre de pays du Sud. » Notre expert mise plutôt sur une série d’outils réglementaires au niveau européen : l’adoption – en cours – d’une loi de vigilance comme celle existante en France, des interdictions ciblées – sur le travail forcé notamment – ou une taxe carbone aux frontières.
Reporterre
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