lundi 31 octobre 2022

AU-DELA DE LA VICTOIRE DE LULA, ANALYSE LUCIDE DES RAPPORTS DE FORCE AU BRESIL ET AUSSI CETTE LECON POUR LA FRANCE OU "L'ELEMENT MAJEUR DES DERNIERES ELECTIONS EST LA PROGRESSION DE L'EXTRÊME DROITE"

Billet de blog  /  27 oct. 2022

Le Brésil, source d'inspiration et d'inquiétude pour la gauche en France

La gauche au Brésil est confrontée à deux faiblesses. D’une part une faiblesse de forces matérielles objectives qui la pousse à trouver des compromis avec des secteurs néo-libéraux. D’autre part une faiblesse idéologique face à l’efficacité communicante d’un nouveau fascisme qui a fait du mensonge et de la haine la base de son fonds de commerce politique. Pourquoi la France serait-elle épargnée ?


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Le second tour de la présidentielle au Brésil, aura lieu à la fin de cette semaine.

La campagne brésilienne pose toute une série de d’interrogations qui sont sous-jacentes à ce qui se passe au Brésil mais plus largement dans l’ensemble de l’Amérique latine. Je me risquerai en fin d’article à tirer quelques leçons qui pourraient être méditées en France.

Tout d’abord on ne peut que remarquer la faiblesse de la gauche au Brésil. Une faiblesse d’abord de forces matérielles objectives qui poussent la gauche à trouver des compromis et offrir des garanties à un certain nombre de secteurs néo-libéraux. Ensuite une faiblesse idéologique face à l’efficacité communicante d’un nouveau fascisme qui a fait du mensonge et de la haine la base de son fonds de commerce politique.

Lula devrait gagner au second tour, en tous cas cela semble statistiquement possible. La participation (obligatoire) a été très importante, près de 80% des votants et l’écart est de 6 millions de voix. Concernant les reports, une partie des voix de Simone Tebet arrivée troisième ira vers Lula, le quatrième, Ciro Gomez appelle aussi à voter pour Lula. En pure analyse électorale, on ne voit pas comment la victoire échappe a Lula. Néanmoins, les médias qui dramatisent la situation pourraient créer eux-mêmes une situation nouvelle. Il ne serait pas davantage étonnant, qu’à l’instar de Trump, Bolsonaro tente un coup d’Etat post élection en refusant le verdict des urnes s’il lui était défavorable.

Malgré cette situation inquiétante les faiblesses indiquées doivent davantage nous préoccuper sur le long terme. Quand bien même Lula gagnerait, cela ne doit pas masquer la situation réelle de la gauche.

La droite bolsonariste avec une progression de près de deux millions de voix s’ancre durablement dans le paysage politique brésilien.

C’est inquiétant car les nombreuses erreurs ou fautes liées au gouvernement Bolsonaro ne semblent pas avoir affecté l’électorat d’extrême droite mais l’ont amplifié. Sa base sociale est solidement ancrée. Lorsqu’on regarde les autres scrutins qui avaient lieu le même jour on peut le mesurer. Malgré la première place de Lula au premier tour des présidentielles, les résultats pour les Gouverneurs et ceux du Congrès sont très défavorables à la gauche.

Bolsonaro majoritaire dans les chambres.

Le parti de Bolsonaro aura le groupe politique le plus important à l’Assemblée nationale 99 sièges, le PT en comptera 80. L’assemblée compte 513 sièges, cela rendra très difficile la construction d’une majorité pour Lula. En effet, parmi les dizaines de partis qui ont une représentation au Congrès, la majorité sont de droite voire d’extrême droite. Bolsonaro a également réussi à installer ses proches a des postes clés du pouvoir législatif comme son ancien ministre de la santé Eduardo Pazuello, l’artisan d’une politique sanitaire du COVID qui fut très vivement critiquée et cela bien au-delà du Brésil. Entre au Parlement également l’ancien ministre de l’environnement de Bolosonaro Ricardo Salles qui a permis le démantèlement des organisations des moyens de contrôle environnementaux et a autorisé les politiques de déforestation de l’Amazone.

Le PT de son côté a réussi quelques avancées en faveur des minorités en faisant élire plusieurs députées d’origine indienne et les premières députées transgenre.

Concernant le Sénat qui renouvelait un tiers de ses représentants Bolsonaro, pourra compter sur le groupe le plus important avec 14 sénateurs sur les 81 sièges face aux 9 du PT, il y aura 8 sénateurs de plus du parti libéral que lors de la dernière législature et sera composé par d’anciens hauts responsables du Gouvernement de Bolsonaro. Parmi eux on trouve le General Hamilton son Vice-Président grand laudateur de la période dictatoriale, la pasteure évangélique Damares Alves ex ministre de la Famille ou encore son ex ministre des sciences Marcos Pontes. Il a également placé un pasteur évangélique fondamentaliste Magno MALTA qui a été un des principaux porteur de l’«empeachement» de Dilma ROUSSEFF en 2016. La présence de ces nouveaux religieux est parlante dans un pays où la religion évangélique tend à remplacer progressivement la catholicisme comme première religion du pays .

Il a également réussi à positionner deux personnages clé dans son dispositif anti-Lula :

Sergio MORO et Deltan DALLAGNOL, c’est à dire le juge et le procureur qui ont mis en place les fausses accusations qui ont mené Lula en prison dans le processus « Lava Jato ». Il faut le rappeler Lula a été amnistié, lavé de tout soupçon et il n’a effectué de la prison que de manière préventive et en raison du processus de Lawfare dont il a été victime pour l’empêcher de se présenter en 2018.

Bolsonaro Majoritaire dans les Etats.

Le Brésil, pays fédéral constitué de 27 Etats, élit également ses Gouverneurs, leurs poids est considérable. Avant le second tour le PT a assuré de son côté son élection dans seulement 3 États. De son côté Bolsonaro a réussi à en gagner 11.

Ce qui signifie que lors de sa prise de pouvoir Lula aura à diriger le pays avec un Congrès qui lui sera hostile et un rapport de force très défavorable au niveau des exécutifs des États brésiliens.

Il est intéressant de faire un point d’arrêt sur le traitement médiatique au Brésil car il est relayé comme tel en Europe et en France. La tendance a été de caractériser les deux candidats comme deux situations comparables. On présente un choix également méprisable entre la peste et le choléra entre deux candidats « radicaux ».

Mesurons ce que cela indique de la position des médias, cela revient à mettre un signe d’égalité entre d’une part un candidat fasciste, Bolsonaro et un candidat démocratique, Lula. Or il faut être conscients qu’au Brésil où ailleurs, cette radicalité sert de manière contante les intérêts dominants. En effet cela mène à présenter ces offres politiques comme des propositions qui ne seraient en rien raisonnables sans jamais s’interroger sur l’intérêt de la majorité des citoyen-nes. Cela permet d’acter que les seules propositions modérées - qui en réalité ne servent que les intérêts des classes dominantes réactionnaires- sont les vraies réponses. La vraie radicalité qui répond à une aspiration majoritaire partout dans le monde est de s’attaquer à la réduction des inégalités. Mais cela ne rentre pas dans le spectre des propositions raisonnables. En revanche le fascisme lui le permet.

L’extrême-droite : une force qui interroge la démocratie.

Il est de même tout à fait étonnant que les résultats objectifs du bolsonarisme ne soient pas davantage sanctionné par les urnes. Son bilan : augmentation des inégalités, de la pauvreté, retour à la famine pour 60 millions de brésiliens -selon la FAO dans un pays qui est le troisième producteur alimentaire mondial. Lula avait sorti le Brésil de la Carte de la faim de l’ONU pendant sept ans, Bolsonaro l’a fait retourner en arrière. C’est le seul pays dans l’histoire mondiale qui y soit retourné après en être sorti. Cette « prouesse » a été essentiellement due à la baisse drastique des financements publics dans la société sous les gouvernements TEMER et BOLSONARO. Tous les secteurs du pays ont perdu de la richesse sous BOLSONARO mais bien évidemment ce sont les plus fragiles qui perdent le plus (55%) et les riches eux n’ont eu une baisse que de 5% de leur richesse. Il a rendu plus facile le port d’arme ce qui pourrait avoir des conséquences après le second tour de scrutin.

Les raisons qui expliquent la permanence du Bolsonarisme sont à chercher ailleurs. En effet on peut penser que le modèle néo-libéral fondé sur une base de libre échange est épuisé depuis la crise de 2008. Or cet échec, non assumé mais réalité factuelle, rend difficile une explication rationnelle du maintien des contraintes néo-libérales réduisant l’Etat a une portion d’autant plus congrue que les richesses privées sont maximisées. Ainsi on peut constater que les oligarchies dominantes y compris dans les pays démocratiques, préfèrent miser sur des régimes de droite extrême, en réalité fascistes, rebaptisés droite dure, en espérant que l’ordre permette de conserver leurs situations de rente. Car en réalité que représente Lula aujourd’hui une fois qu’on a objectivé sa position politique ? Il est le représentant d’une alliance centriste qui par certains aspects pourrait pencher à droite mais qui, pour le moment, préfère encore un modèle démocratique plutôt que le Bolsonarisme. En réalité l’attelage de Lula n'est pas ou plus le PT, il est tout simplement le meilleur représentant des démocrates de tous bords qui croient encore à ce modèle de fonctionnement politique.

Mais pour combien de temps encore?

C’est en effet cela, à mon sens, qui se joue dans cette élection. Le Bolsonarisme se nourrit de tous les secteurs dominants qui veulent maintenir leurs positions et qui sont prêts à passer par pertes et profits la fragile construction de la démocratie car ils sont persuadés, que c’est le seul moyen de maintenir leurs positions alors qu’ils ne sont plus soutenus par un modèle idéologique pertinent. Le Fascisme devient le cadre au sein duquel continue le Business as usual. Pour cela il utilise les contradictions des classes sociales populaires entre elles, les arguments moraux ou affectifs, des éléments irrationnels, de la pensée magique et génère du buzz médiatique afin de créer un rideau de fumée qui prend la place d’un voile d’ignorance permettant d’occulter les véritables débats. A tout ce cirque il devient difficile de porter la contradiction dans un cadre rationnel contradictoire. En cela la gauche peut difficilement gagner à se laisser enfermer dans ce piège.

Ce que le Brésil raconte de la France.

La situation brésilienne vient ainsi éclairer particulièrement la situation en France. En effet si les résultats des législatives françaises permettent de faire vivre l’illusion de l’existence de la gauche, ils ne parviennent pas à contrer la montée de l’extrême droite. Car l’élément majeur des dernières présidentielles en France est bien celui-là : la progression irrésistible de l’extrême droite. Le second élément d’importance est que l’unité de la gauche a permis d’endiguer la débâcle.

Mais enfin pourquoi ce qui touche le Brésil ne toucherait il pas la France ?

N'a-t-on pas aujourd’hui une situation dans laquelle le problème même de la gauche est de ne pas avoir un projet fédérateur pour le pays ? Car même si la macronie caractérise la NUPES comme extrémiste, le projet porté par Jean Luc Melenchon n’est en rien révolutionnaire. Il est un programme qui défend un certain nombre d’acquis et tente d’en dessiner d’autres, et c’est déjà bien mais comme au Brésil, la gauche n’a plus une vision de société à proposer qui puisse fédérer au-delà de son électorat convaincu. Ce même électorat qui s’effrite d’autant plus rapidement que les fondements idéologiques qui ont bâti les principes de la gauche ont progressivement disparu. Ainsi en France comme au Brésil la gauche a besoin de refonder un projet de société commun et elle doit le faire au niveau européen pour ce qui nous concerne et au niveau latino-américain pour le Brésil. Car si nous ne prenons pas ce chemin-là, nous ne serons au mieux que les derniers défenseurs de notre système démocratique face à ceux qui n’ont qu’un projet : celui de le mettre en pièce.

 

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