mardi 20 septembre 2022

LES TURPITUDES SARKOZYSTES 'APPRECIEES' PAR L'EX EPOUSE DU PRESIDENT-AUX-CASSEROLES

« Moche », « hallucinant », « surréaliste » : quand Cécilia Attias découvre le fond de l’affaire Sarkozy-Kadhafi

Entendue comme témoin le 1er juin dernier par la police, l’ex-femme de Nicolas Sarkozy n’a pas mâché ses mots à l’encontre de plusieurs membres du premier cercle de l’ancien président, comme Brice Hortefeux, Bernard Squarcini et Thierry Gaubert. Premier volet d’une série de révélations sur l’affaire libyenne.

Fabrice Arfi et Karl Laske  /  Médiapart

19 septembre 2022 à 10h58 

 

Quatre heures d’audition et 22 pages de procès-verbal. Entendue comme témoin le 1er juin dernier par la police, l’ex-femme de Nicolas Sarkozy, Cécilia Attias, a ouvertement pris ses distances avec plusieurs membres du premier cercle de l’ancien président de la République à mesure que les enquêteurs lui révélaient durant l’audition le contenu de leurs investigations dans l’affaire des financements libyens, selon des éléments recueillis par Mediapart.

Cécilia Attias a même eu des mots pour le moins ambigus s’agissant de Nicolas Sarkozy lui-même, qu’elle a d’abord présenté aux policiers comme « un homme honnête, profondément intègre », avant d’ajouter : « Après, j’ai découvert beaucoup de choses dans la presse, il m’est arrivé de tomber de ma chaise plus d’une fois, mais moi je n’ai rien vu de tout ça, pour moi, le père de mon fils était quelqu’un d’intègre, honnête, courageux. Pareil pour M. Guéant […], un grand commis de l’État, dévoué à son pays. Quand j’ai entendu ce que j’ai vu dans la presse (sic), j’étais très étonnée. Soit j’étais très naïve, soit j’ai été très stupide, mais pour moi, ça ne rentrait pas du tout dans l’image que j’avais et dans ce que j’ai vécu. »  

Cécilia Attias entourée de Bernard Squarcini, Brice Hortefeux, Thierry Gaubert, Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi. © Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart avec AFP
 

Condamné en première instance pour « corruption » et « trafic d’influence » dans l’affaire Bismuth et pour « financement illégal de campagne » dans le scandale Bygmalion – il a fait appel des deux jugements –, Nicolas Sarkozy est quatre fois mis en examen dans le dossier libyen, pour « corruption », « association de malfaiteurs », « financement illégal de campagne » et « recel de détournements de fonds publics ». Comme toute personne mise en cause, Nicolas Sarkozy est présumé innocent.

Sollicité par Mediapart, Nicolas Sarkozy n’a pas donné suite. Claude Guéant, également mis en examen dans ce dossier (pour une dizaine de délits présumés dont « corruption », « financement illégal de campagne » et « association de malfaiteurs ») a maintenu pour sa part qu’il n’avait « jamais vu ou entendu parler d’un financement libyen ».

Cécilia Attias, qui a partagé au total plus de vingt ans de la vie de l’ancien chef de l’État – ils ont été mariés de 1997 à 2007 et ont eu un fils ensemble –, a par ailleurs tenu devant les policiers des propos sans concession sur la garde rapprochée de l’ex-président de la République, qu’elle ne tient de toute évidence pas en haute considération. C’est la première fois que l’ancienne femme du président s’épanche de la sorte, sur procès-verbal, dans le cadre d’une enquête pénale – et pas n’importe laquelle.  

Par exemple sur Thierry Gaubert. Ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy à la mairie de Neuilly-sur-Seine puis au ministère du budget – les deux hommes étaient « très proches, copains », d’après Cécilia Attias –, Thierry Gaubert est mis en examen pour « association de malfaiteurs » dans l’affaire libyenne. Il lui est notamment reproché par les juges d’avoir perçu, en 2006, sur un compte secret aux Bahamas, 440 000 euros d’argent libyen, envoyés par un cacique du régime Kadhafi condamné en France pour terrorisme.

« C’est moche tout ça », a réagi face aux policiers Cécilia Attias, qui dit avoir travaillé (bénévolement) à la même période aux côtés de son mari au ministère de l’intérieur, mais n’avoir jamais rien su de l’implication de Thierry Gaubert dans les affaires libyennes.

Interrogé, Thierry Gaubert n’a pas donné suite.

« Tout ça me dépasse »

Au sujet du même Gaubert, Cécilia Attias a également déclaré : « Je n’ai jamais été très fan. Je ne sais pas pourquoi, mon instinct… Ni lui, ni Brice Hortefeux d’ailleurs. C’était un ami de Nicolas, je respectais, mais voilà… J’avais mes amis à moi. »

Justement, Brice Hortefeux. Ancien ministre de l’intérieur, lieutenant et ami de toujours de Nicolas Sarkozy – ils se connaissent depuis l’adolescence –, Brice Hortefeux est mis en examen dans l’affaire libyenne, pour « association de malfaiteurs » et « financement illégal de campagne électorale ».

Or, quand les enquêteurs ont détaillé le 1er juin dernier à Cécilia Sarkozy la nature des relations de Brice Hortefeux avec l’intermédiaire Ziad Takieddine, qui fut l’agent de liaison occulte du clan Sarkozy avec le régime Kadhafi, elle a réagi sans détour : « Cela me paraît surréaliste. Je n’ai pas le même respect pour Brice Hortefeux que j’ai pour Claude Guéant [mis en examen dans l’affaire libyenne, il a été condamné dans l’affaire des sondages de l’Élysée et définitivement condamné dans l’affaire des espèces du ministère de l’intérieur – ndlr]. »

Et de préciser : « Brice est l’ombre de Nicolas Sarkozy depuis toujours […]. Brice Hortefeux n’a eu de carrière que dans le sillon de Nicolas Sarkozy. Tous les postes qu’il a obtenus lui ont été donnés par Nicolas Sarkozy. »

L’ancien président, qui a un jour comparé Brice Hortefeux à un « frère » dans un livre, est d’ailleurs présenté par son ancienne épouse comme « très fidèle en amitié ».

Je n’ai jamais été très fan [de Thierry Gaubert et Brice Hortefeux].

Cécilia Attias, le 1er juin 2022, devant les policiers

Mais la stupéfaction de Cécilia Attias a semblé plus grande encore quand les enquêteurs lui ont expliqué que leurs investigations ont permis d’établir que Brice Hortefeux, alors ministre des collectivités locales, avait rencontré secrètement en Libye le terroriste d’État Abdallah Senoussi – sans diplomate, sans agent de sécurité, sans traducteur, mais avec Takieddine –, quelques jours seulement avant que le Libyen verse un demi-million d’euros sur le compte aux Bahamas de Thierry Gaubert. « C’est hallucinant. Tout ça me dépasse », a-t-elle sèchement commenté.

Sollicité par Mediapart, Brice Hortefeux n’a pas souhaité réagir, affirmant toutefois qu’il continuait de dénoncer « formellement », dans cette affaire, des « contre-vérités et des erreurs factuelles », sans plus de précision.

Selon l’instruction, Claude Guéant, alors directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy Place Beauvau, a lui aussi rencontré en 2005, trois mois avant Hortefeux et dans des circonstances analogues, Abdallah Senoussi, dont l’enquête a établi le rôle central dans les financements occultes de la Libye. Les juges ont par ailleurs récolté de nombreux témoignages et documents montrant que l’équipe Sarkozy s’était activement mobilisée, de 2005 à 2009, pour tenter de faire sauter le mandat d’arrêt international qui visait Senoussi.

Cécilia et Nicolas Sarkozy quittent leur domicile après avoir voté pour le premier tour de l’élection présidentielle, à Neuilly, le 22 avril 2007. © Photo Thomas Coex / AFP
 

« Squarcini, ce n’est pas le genre que la France mérite »

Autre cible de Cécilia Attias durant son audition : Bernard Squarcini, l’ex-chef tout-puissant des services secrets intérieurs quand son mari présidait la République. Seize fois mis en examen dans l’affaire LVMH, Bernard Squarcini est cité (sans être inquiété pénalement) dans le dossier libyen pour avoir orchestré, en 2012, aux lendemains de révélations de Mediapart, l’exfiltration de France d’un autre acteur clé de la corruption franco-libyenne présumée, Béchir Saleh, alors que celui-ci était visé par une notice rouge d’Interpol.

Interrogée sur les liens de Bernard Squarcini avec l’intermédiaire Alexandre Djouhri, qui a été l’un des opérateurs de l’exfiltration de Saleh, Cécilia Attias n’a pas mâché ses mots. S’exprimant de manière générale sur l’ancien maître espion, elle dit : « Squarcini, je l’ai connu, mais ce n’est pas quelqu’un envers qui j’ai énormément de respect. Squarcini, ce n’est pas le genre que la France mérite […]. Je pense que la République, il faut la respecter. »

Invité par Mediapart à réagir, Bernard Squarcini a répondu qu’il ne souhaitait faire aucun commentaire.

Durant son audition, Cécilia Attias est par ailleurs longuement revenue sur un épisode qui lui vaut d’être internationalement associée à la Libye depuis des années : la libération d’infirmières bulgares et d’un médecin palestinien, emprisonnés dans les geôles du régime Kadhafi après avoir été accusés à tort, en 1999, d’avoir volontairement inoculé le virus du sida à des centaines d’enfants dans la ville de Benghazi.

Je pense que la République, il faut la respecter.

Cécilia Attias au sujet de Bernard Squarcini

La libération des infirmières et du médecin était devenue au début des années 2000 une cause humanitaire mondiale, qui a mobilisé la communauté internationale, tout particulièrement l’Union européenne. 

Après huit ans de calvaire et de batailles diplomatiques et judiciaires interminables, les infirmières bulgares et le médecin palestinien ont finalement été libérés en juillet 2007, au terme de pourparlers avec Mouammar Kadhafi auxquels avait personnellement pris part Cécilia Attias.

Aux policiers, elle a déplié une histoire qu’elle qualifie elle-même volontiers de « rocambolesque ».

« Kadhafi était étonné qu’une femme ose lui parler comme ça » 

L’ex-femme de Nicolas Sarkozy a raconté sur PV les heures à attendre à Tripoli avant d’être reçue, les Libyens « agressifs », aux théories complotistes sur les infirmières et le médecin, puis ses deux rendez-vous avec Kadhafi.

Elle a expliqué n’avoir pas hésité à rudoyer le dictateur pour le convaincre de libérer les infirmières lors de leur première entrevue, qui a pris place dans sa fameuse tente bédouine. « Il était étonné qu’une femme ose lui parler comme ça avec autant de fermeté, pour ne pas dire de dureté », s’est-elle souvenue sur procès-verbal.

L’étrange disparition des agendas de Nicolas Sarkozy

Évoquant son deuxième rendez-vous avec le « Guide » libyen, dans son bunker cette fois, elle a décrit une scène digne d’un film de genre : « Je suis rentrée dans une pièce, seule. Il y avait une cravache dans le bureau, que j’ai prise. Je me suis assise. Puis Kadhafi est arrivé, il n’était pas dans un état normal […]. Je lui ai dit que s’il m’arrivait quelque chose, il aurait tout le monde sur le dos, donc qu’il n’avait pas intérêt de me toucher ou de m’approcher. »

Cécilia Attias s’est souvenue d’un « dialogue surréaliste » en anglais, de trois ou quatre heures, durant lequel elle « a tout improvisé », avant d’obtenir in extremis l’accord de Kadhafi pour faire libérer les infirmières.   

Interrogée sur le rôle de Takieddine dans le dossier des infirmières bulgares – l’enquête a obtenu des témoignages et documents qui prouvent sa présence sur place et son lien constant avec l’Élysée –, Cécilia Attias a dit n’en avoir jamais rien su. « Je n’en ai jamais entendu parler avec personne, ni à ce moment-là, ni par la suite. Et Takieddine, je ne savais même pas qu’il existait à l’époque. Après, il n’était pas dans mon champ de vision. Peut-être qu’on me protégeait… Je ne sais pas », a-t-elle commenté.

En 2013, un proche de Nicolas Sarkozy, le publicitaire Jean-Michel Goudard, a mis en doute la réelle efficacité de Cécilia Attias dans la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien. « Envoyer [Cécilia Attias – ndlr] aux infirmières bulgares qui étaient déjà libérées… Enfin je veux dire… On a vu des trucs incroyables », s’était ému Jean-Michel Goudard auprès du préfet Michel Gaudin, actuel directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, lors d’une conversation téléphonique captée par la police.

 « Ce n’est absolument pas vrai, je ne sais pas pourquoi il a dit une bêtise pareille », a réagi Cécilia Attias le 1er juin dernier dans les locaux de la police.

Fabrice Arfi et Karl Laske

 

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