jeudi 18 août 2022

LA LETTRE DU CLUB MEDIAPART / 18 AOÛT 2O22 : CA BOUSCULE !

Un été d’images d’herbes brunies, de rivières asséchées, de paysages jaunis, et l’impression de voir le monde en mauvais sépia. C’est là le nouveau régime du visible paradoxal qui caractérise cette saison, où la pénurie devient tangible, où le manque se fait substantiel, où, comme dans le portfolio de Lucien Migné sur la pénurie d’eau au Liban, l’assoiffement apparaît clair comme de l’eau de roche. L’obscénité des inégalités, aussi : d’un côté, des libanais·es qui s’organisent pour survivre au compte-goutte et des enfants qui font des réserves ; de l’autre, des oasis pour riches où la privation n’est qu’une réalité abstraite. 

Mettre moins d’eau dans les bouilloires, prendre des douches froides… Les injonctions aux gestes individuels qui fleurissent partout en Europe apparaissent, face à ces images, dans toute l’étendue de leur inanité. C’est ce que déplorent, dans une tribune parue ce jour, quatre élu·es européens, en s’attaquant à l’écologie des demi-bouilloires – et des demi-mesures. « Si des changements dans nos modes de vie sont nécessaires, écrivent-ils, nous ne pouvons attendre des individus qu'ils compensent là où nous, politiques, manquons de responsabilité pour engager les secteurs les plus polluants ou énergivores. » L'urgence est aux transformations politiques structurelles, contre ce qu’ils nomment « capitalisme fou »

En juin, Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie, Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d’EDF, et Patrick Pouyanné, président-directeur général de TotalEnergies avaient appelé dans le JDD à une « sobriété d’urgence ». Une autre tribune, écrite cette fois-ci par des professionnel·les et ingénieur·es travaillant dans l’énergie, avait dénoncé avec autant de force cette grande tartufferie capitaliste. Certes, les « Amish » avaient gagné un bout de bataille culturelle. Mais si « un mea culpa eût été le bienvenu », notaient-ils, « difficile de demander pardon pour des erreurs dans lesquelles on continue de foncer tête baissée. » Un « sécessionnisme des riches que le gouvernement acte en perpétuant le statu quo climatique », résumait récemment Mickaël Correia dans le journal. 

Alors que gouvernants néolibéraux et autres acteurs du capitalisme financier enjoignent à la frugalité en poursuivant la débauche climaticide, certain·es mènent des réflexions depuis longtemps sur la redéfinition des besoins artificiels en contexte d'inégalités sociales – et n’ont évidemment pas attendu les lamentations factices d’un PDG de TotalEnergies pour le faire. Des textes à (re)lire ci-dessous. 

Les temps forts de la semaine


Quartier de Bourj Hammoud, Beyrouth. Le manque d'eau potable à Beyrouth a généré toute une industrie. De nombreuses entreprises privées traitent l'eau courante, la rendant ainsi potable, pour la vendre.

Mettre moins d’eau dans les bouilloires (Irlande), prendre des douches froides (Allemagne)... Quatre jeunes élu·es européen·nes déplorent les injonctions faites citoyens aux gestes pour la planète, tandis qu'aucune mesure structurelle ne s'attaque au « capitalisme fou », destructeur de vies, de la faune et de la flore. « Si des changements dans nos modes de vie sont nécessaires, nous ne pouvons attendre des individus qu'ils compensent là où nous, politiques, manquons de responsabilité pour engager les secteurs les plus polluants ou énergivores. »

[Rediffusion] Qu'arrive-t-il aux besoins des êtres humains sous le capitalisme ? Alors que la doxa libérale naturalise les besoins existants en en faisant des propriétés de la «nature humaine», nous sommes aujourd'hui forcé·es, à l'heure des urgences écologique, sociale et démocratique, à chercher à dévoiler et donc politiser leur construction sociale.

[Rediffusion] Catherine MacGregor, Jean-Bernard Lévy, et Patrick Pouyanné, directrice et directeurs de Engie, EDF et TotalEnergies, ont appelé dans le JDD à la sobriété. En réponse, des professionnel·les et ingénieur·es travaillant dans l'énergie dénoncent l'hypocrisie d'un appel à l'effort par des groupes qui portent une responsabilité historique dans le réchauffement climatique. Un mea culpa eût été bienvenu, mais « difficile de demander pardon pour des erreurs dans lesquelles on continue de foncer tête baissée. »

[Rediffusion] Le choix de redéfinir collectivement ce dont nous avons besoin doit être au centre des débats à venir si l'on veut réussir la bifurcation sociale et écologique de nos sociétés, ce qui est à la fois urgent et incontournable.

Pour que l’exigence de qualité et de singularité de l’individu contemporain puisse être conciliée avec ses appropriations massives, il faut que soit introduit un niveau de difficulté supplémentaire. La résistance nourrit et relance l’intérêt porté au processus global. Pour tirer le meilleur parti de ces mécanismes psycho-comportementaux, nos sociétés "gamifiées" créent de la rareté sur mesure.

Le bras de fer en cours avec la Russie autour des énergies fossiles est l’occasion d’entrer de plain-pied dans l’ère de la sobriété énergétique. Pourtant, nos gouvernants semblent lorgner vers une autre voie : celle qui consiste simplement à changer de fournisseur, au risque de perdre toute crédibilité morale et de manquer une occasion historique en faveur du climat.

La lettre du Club
jeudi 18 août 2022


 

Aucun commentaire: