Pesticides : les négociations européennes s’ouvrent pour une réduction massive sur le continent
La Commission européenne a dévoilé mercredi son projet de nouvelle directive pesticides. Objectif : réduction de moitié de l’usage de ces produits toxiques d’ici à 2030. Mais le mode de calcul et des objectifs différents selon les États membres risquent d’affaiblir l’ambition.
23 juin 2022 à 19h38
Après plusieurs mois de délai, la copie est enfin arrivée. Mercredi 22 juin, la Commission européenne a dévoilé son projet de nouvelle directive sur les pesticides – un règlement destiné à être traduit ensuite dans les législations nationales des 27 États membres. L’objectif est ambitieux : il s’agit de réduire, sur l’ensemble du continent, l’usage des pesticides de 50 % d’ici à 2030 par rapport à la consommation actuelle.
C’est l’un des grands volets de la stratégie « De la ferme à la table » - déclinaison pour le secteur agricole du « Pacte vert », cette politique affichée depuis fin 2019 pour atteindre la neutralité carbone de l’Union européenne (UE) et enrayer l’effondrement de la biodiversité.
C’est aussi le combat du vice-président de la Commission européenne à l’action pour le climat, Frans Timmermans, affaibli politiquement après les deux crises majeures – Covid, guerre en Ukraine – qui, depuis le début de son mandat, ont eu pour conséquence de repousser à plusieurs reprises la mise en œuvre de son agenda écologique.
« Utiliser la guerre en Ukraine pour diluer les propositions et effrayer les Européens en leur faisant croire que le développement durable signifie moins de nourriture est franchement assez irresponsable, a déclaré celui-ci en présentant le texte européen lors d’une conférence de presse à Bruxelles. Car le climat et la crise de la biodiversité…, c’est ce qui menace notre sécurité alimentaire. »
Sans règles plus strictes, le risque est que « les écosystèmes et les pollinisateurs s’effondrent, ce qui aura des impacts encore plus grands sur la sécurité alimentaire et les prix de la nourriture », a renchéri sa collègue, la commissaire à la santé Stella Kyriakides.
Pour l’exécutif européen, cette nouvelle réglementation est une chance inouïe de parvenir à une agriculture moins destructrice pour les écosystèmes et la santé humaine, et plus autonome vis-à-vis des intrants chimiques, dont les prix ont flambé depuis le début de la guerre en Ukraine. C’est aussi et surtout le meilleur moyen de faire revenir des insectes et des pollinisateurs dans les champs… Des petites bêtes pas seulement utiles aux chaînes alimentaires et à la survie de nombreuses espèces animales, mais aussi nécessaires à la fécondation des plantes, autrement dit indispensables pour la pousse de nos céréales, fruits et légumes.
La nouvelle directive a pour but d’« inverser le déclin des populations de pollinisateurs d’ici à 2030, puis [d’]accroître leurs populations », peut-on lire dans le communiqué de l’exécutif européen. Mais aussi de « montrer l’exemple en ce qui concerne l’inversion de la perte de biodiversité et la restauration de la nature ».
Car l’Europe n’est pas un continent isolé. Elle importe massivement des produits d’Amérique du Sud, principalement pour l’alimentation animale. Ces céréales sont abreuvées de pesticides, y compris de substances déjà interdites sur le sol européen. Va-t-on continuer à les acheter pendant que l’agriculture européenne, elle, adoptera des normes plus strictes ?
Impossible, répondent certains États membres comme la France, laquelle plaide pour une « réciprocité des normes » : si ces pays d’outre-Atlantique veulent continuer à exporter en Europe, il leur faudra, eux aussi, diminuer leur usage de pesticides. Les plus optimistes estiment que la politique verte de la Commission pourrait ainsi faire boule de neige.
Une nuance, cependant : le texte mis sur la table par l’exécutif européen ne fait que lancer une longue négociation avec le Parlement et les Vingt-Sept, qui pourrait durer au moins deux ans et s’avérer difficile. Car la réduction de 50 % est l’objectif affiché au niveau européen. Des objectifs nationaux différents seront en réalité fixés pour chacun des États membres, sur la base de ce qu’ils ont réalisé au cours des années 2015-2017 et 2017-2019. Certains pourraient avoir à faire moins, d’autres à faire plus.
« Il y a un équilibre à trouver, nous dit-on du côté de la Commission. Nous prendrons en compte les efforts déjà réalisés, et les moyens dont dispose l’État pour y arriver. C’est une proposition qui doit maintenant faire l’objet de discussions. » En tout état de cause, aucun des Vingt-Sept ne pourra prétendre à un objectif inférieur à 35 % de réduction de l’usage des pesticides par rapport à aujourd’hui.
Les pays déjà bien avancés dans le désengagement des intrants chimiques, comme la Suède ou l’Autriche, auront probablement un objectif inférieur à 50 %, nous explique-t-on. Les pays très en retard, en revanche, pourraient se retrouver avec des objectifs supérieurs à 50 %. C’est le cas des Pays-Bas, du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie… Mais aussi de la France, qui se trouve dans le peloton de tête des plus gros consommateurs de pesticides en Europe.
Selon des chiffres diffusés mardi sur Twitter par le commissaire européen à l’agriculture, Janusz Wojciechowski, la France a en effet déversé en 2019 sur ses terres cultivées 4,46 kg de pesticides par hectare en moyenne… C’est certes deux fois moins que les Pays-Bas, qui devancent très largement le classement avec 8,88 kg de pesticides par hectare sur la même période, mais c’est sept fois plus que la Suède, qui s’en tient à 0,58 kg par hectare.
Du côté du gouvernement français, toutefois, on se refuse à chiffrer un objectif. On préfère avancer – en dépit de l’absence sous le premier mandat Macron d’une politique en ce sens - le fait que la France était déjà « bien engagée », avant le Pacte vert, dans la réduction des pesticides. « La France constitue la première surface d’agriculture biologique en Europe », nous dit-on au ministère de la transition écologique.
Problème : cette présentation est erronée, la France comptant la première surface agricole européenne. Ramenées à la proportion des terres françaises cultivées, les surfaces bio n’en constituent qu’une toute petite partie : 8,71 % en 2020, selon les chiffres d’Eurostat. Un score qui place la France en dessous de la moyenne européenne (9,07 %) !
En outre, comme le montre une carte diffusée mercredi par l’institut de recherche Solagro, ces surfaces sont très inégalement réparties sur le territoires. Entre la région Occitanie, qui dépassait 14 % de sa surface en bio en 2020, et les Hauts-de-France, qui en comptaient seulement 2 %, l’impact sur les populations et les écosystèmes n’est pas du tout le même.
« Notre méthode est de soutenir massivement la recherche d’alternatives, nous dit-on au ministère encore occupé par Amélie de Montchalin, malgré sa défaite électorale. Nous n’interdisons un produit que lorsqu’une alternative a été trouvée. »
En matière de lutte contre les pesticides et de recherche d’alternatives, la France fait en réalité figure de mauvaise élève. Ses plans dits « Ecophyto » - le premier a été lancé en 2009 – pour réduire l’usage des produits chimiques en agriculture et interdire certaines molécules comme le glyphosate ou l’imidaclopride (un néonicotinoïde tueur d’insectes) n’ont rempli aucun de leurs objectifs. Les ventes de pesticides ont même augmenté, la promesse d’Emmanuel Macron d’interdire le glyphosate n’a pas été tenue et, sous sa présidence, les néonicotinoïdes ont été réintroduits dans la culture de betteraves.
Autre difficulté : l’indicateur choisi pour l’instant par la Commission européenne pour comptabiliser tout cela pénalise fortement les produits alternatifs et non polluants, au profit des substances les plus toxiques. C’est en tout cas ce que dénonce l’association Générations futures, sur la base d’une étude réalisée par l’ONG autrichienne Global 2000.
Absence de planification
En raison d’un calcul combinant quantités émises et pondération suivant le type de produit, cet indicateur aboutit, par exemple, à un même niveau de risque « pour un kilogramme d’agent neurotoxique, comme l’insecticide hautement toxique pour les abeilles deltaméthrine, que pour un kilogramme de sable quartzeux, même si ce dernier n’est évidemment pas dangereux. » Ce biais s’explique par le fait que la plupart des substances utilisées en agriculture biologique nécessitent des taux d’application plus élevés que les substances synthétiques.
« Nous avons bien connaissance des débats autour de cette indicateur, explique-t-on de source ministérielle. Nous sommes mobilisés pour contribuer à définir les indicateurs les plus robustes possibles, qui répondront au mieux à la politique que nous souhaitons mener. »
Le gouvernement fait également valoir que les subventions de la Politique agricole commune (PAC) pourront accompagner les agricultrices et les agriculteurs dans cette transition vers une agriculture plus écologique. Or la version française de la PAC pour les cinq prochaines années – ce que le jargon européen appelle le Plan stratégique national (PSN) - a précisément été retoquée en avril par la Commission, car elle ne répondait pas suffisamment à certains critères environnementaux décidés dans le cadre européen… La nouvelle copie française est toujours attendue à Bruxelles.
Le deuxième mandat d’Emmanuel Macron a été placé sous le signe de la « planification écologique ». Pour l’heure, cependant, la réception française du projet de directive pesticides donne à voir l’absence complète de planification pour le secteur agricole et sa sortie des produits toxiques. Un mauvais signal pour le premier pays agricole de l’UE.
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