vendredi 10 juin 2022

POUR LE FUN : TEL QU'EN LUI-MÊME, 'PARIS-MATCH', L'HEBDO-A-RAGOTS SAIT BIEN DES CHOSES SUR MELENCHON ET FAIT LA CAMPAGNE DU POUVOIR AVEC SES PAUVRES MOYENS...

Politique /  Paris-Match

Jean-Luc Mélenchon, la grande illusion

À Metz, le 24 mai. Le non-candidat fait campagne pour la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes).
À Metz, le 24 mai. Le non-candidat fait campagne pour la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). © Baptiste Giroudon / Paris Match

 

 

Par Sophie des Déserts et Émilie Lanez , Mis à jour le

Avant le premier tour des législatives, Jean-Luc Mélenchon, se voit à Matignon. Notre enquête sur la face cachée du leader des Insoumis. 

Jean-Luc Mélenchon est prêt, ministres choisis, directeur de cabinet au taquet, programme décliné en huit chapitres, 650 mesures, retraite à 60 ans, smic à 1 500 euros, revenu universel étudiant, planification écologique, fin des féminicides et de la pauvreté, VIe République… et tant pis si les comptes de la nation explosent. Matignon l’attend, la France s’en souviendra. Il y croit, s’entraîne depuis des années, écoutant en stéréo, sur enceintes achetées à dessein, les discours de De Gaulle et de Mitterrand, dont il savoure, en excellent tribun, l’horlogerie rhétorique. Oui, en ce mois de juin 2022, tout s’aligne. La presse de gauche le traite avec égard, négligeant ses inepties sur la monnaie mondiale ou les vaccins chinois et, bien qu’il ait pour la troisième fois échoué à la présidentielle, il triomphe, vampirisant la scène.

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Le 10 avril, soir de premier tour, coursives du Cirque d’hiver. Sous les portraits de la famille Bouglione, les résultats tombent : près de 22 % des votes, plus de 7 millions de voix. L’ancien sénateur PS a fait main basse sur la gauche. Ses rivaux écolos et socialistes plieront pour sauver des mandats de députés, renflouer leurs caisses ; le bras de fer a été planifié. Sandrine Rousseau, l’écoféministe qui a empoisonné la campagne de Yannick Jadot, a été approchée dès janvier, au cours d’un déjeuner, tout comme Olivier Faure, le secrétaire du PS, et son énergique porte-parole, Pierre Jouvet qui fut – heureux hasard – le camarade de lycée dans la Drôme de Manuel Bompard, l’insoumis chargé des négociations aux côtés du chef.

« Mélenchon nous dit : “Vous faites l’Histoire, courageux ce que vous faites”, se souvient Jouvet, bluffé par le savoir-faire. Les négociations n’ont pas traîné. » Pliées en treize jours, la bannière Nupes hissée. PS, PCF, Verts, tous derrière Mélenchon. « Seul lui incarne et porte la gauche, héritage né de la Révolution », s’ébaubit Adrien Quatennens, le député nordiste, ardent soutien insoumis. Quelle jouissance pour l’ex-ministre jospiniste qui fut tant méprisé rue de Solferino, notamment par l’exécré Hollande, parti en 2008 avec une idée fixe : « Tuer le PS, l’achever jusqu’au dernier morceau de carcasse. » Oui, en ce printemps 2022, il exulte, maestro ressuscité.

À 20 ans, en 1971, étudiant en philosophie à Besançon, il forme pour l’OCI (Organisation communiste internationale) ses premiers « commandos » de militants.
À 20 ans, en 1971, étudiant en philosophie à Besançon, il forme pour l’OCI (Organisation communiste internationale) ses premiers « commandos » de militants. © DR

Oubliée la défaite mauvaise de 2017, son discours lunaire, suspicieux, son entrée ronchonnante à l’Assemblée nationale, comme député de Marseille, avec 16 élus LFI. Oubliée la haine manifestée devant les juges et les policiers venus le perquisitionner, en octobre 2018, dans le cadre de deux enquêtes préliminaires, l’une sur les comptes de campagne, l’autre sur des emplois fictifs présumés au Parlement européen. « La République, c’est moi ! » avait-il hurlé, poussant ses militants à bousculer les fonctionnaires qui n’oublieront jamais. Sa rage, filmée, aurait pu le jeter dans les poubelles de l’Histoire, l’empêcher de se représenter, Mélenchon l’a craint, ses proches aussi. « Il faut virer le vieux », chuchotaient alors les jeunes insoumis. Leur leader paraissait tellement « has been », avec ses lubies marxistes, son absence de permis de conduire, son anglais minable et ses costumes d’instituteur. Mélenchon a senti le vent tourner.

« Toujours écouter la jeunesse », conseillait son maître, Mitterrand. Il a soudain intégré les récits de ses amis députés de Seine-Saint-Denis, ces banlieues minées par la pauvreté, la stigmatisation des musulmans, ce mot longtemps interdit à LFI où l’on ne parlait que d’« immigrés ». Tous lui ont dit : « Elles sont aussi là, ces 600 000 voix qui ont manqué en 2017. » Le chef a ordonné que l’on quadrille le terrain : marchés, HLM, associations, mosquées… Il a changé de costume, de vocabulaire, cessé d’invoquer la gauche – jugée plombante – pour ne plus parler qu’au nom du peuple. Dénoncer les folies du capitalisme, les excès des « laïcards » et embrasser les nouveaux combats pour le climat, l’écriture inclusive, la gratuité des serviettes et des coupes menstruelles, le changement d’identité des transgenres, la souffrance des poules et des lapins… Séduire à la fois les bobos surdiplômés des centres-villes et les électeurs des quartiers populaires qu’Éric Zemmour effraie.

Il a retenu de sa défaite de 2017 qu’il fallait chercher les voix sur les marchés, dans les quartiers populaires et les mosquées

De l’extérieur, Mélenchon est en pleine transmutation. Mais au fond, il n’a pas changé. Il est resté le militant trotskiste, enfiévré en 1969, à la fac de Besançon, debout sur les tables, déjà méthodique et sectaire. Son mentor : Pierre Lambert, ce dur à cuire fondateur de l’OCI, branche radicale du communisme, auquel il a rendu un vibrant hommage à sa mort en 2008. Il ne l’a rencontré qu’une fois, tout tremblant, à la mairie de Massy, mais il lui doit tant : ce goût du secret, frisant la paranoïa, cette obsession de l’éducation, de l’ordre, du contrôle. Mélenchon a toujours veillé à recruter de jeunes cerveaux qu’il forme, nourrit de ses ouvrages favoris, « Histoire de la révolution russe », de Trotski, « Anatomie de la terreur », de Timothy Tackett, et la biographie de Paul Murray Kendall sur Louis XI, ce grand roi subtil et manœuvrier. La conquête du pouvoir, voilà ce qui l’occupe depuis toujours. Tout est analysé à l’aune de cet objectif, de la carte électorale qu’il étudie circonscription par circonscription, à l’état d’esprit de l’armée, jugé en bon trotskiste, décisif.

Mélenchon a toujours soigné ses liens avec les militaires, initiés lorsqu’il siégeait à la commission de la défense du Sénat ; il s’est intéressé de près à l’industrie de l’armement, notamment au fil de discussions avec son ami Serge Dassault, a multiplié les échanges avec de haut gradés, tels le général de Villiers ou l’amiral Dufourcq.

Les questions de sécurité le hantent, pour la France, comme pour lui-même. Mélenchon vit avec la peur d’être victime d’un fou, d’un de ces fanas d’ultradroite qui lui ont envoyé des balles glissées dans une enveloppe ; les bains de foule sont toujours une épreuve, d’autant que sa demi-surdité de naissance renforce son sentiment de vulnérabilité. Il s’est ainsi constitué une petite armée : un service d’ordre national qui compte environ 300 bénévoles et un escadron de 30 personnes – les militants les plus sûrs – dirigé par Benoît Schneckenburger, ce prof de philo ceinture noire de karaté, très engagé jusqu’à la dernière campagne. Ceux-là connaissent par cœur « le chef », anticipent quand il s’épuise, quand les groupies l’oppressent, qu’il faut l’exfiltrer sous peine de le voir pester contre une dame en fauteuil roulant qu’il a crue armée, hurler « bande d’incapables ! », ordonner que sa sécurité soit illico renforcée et qu’on lui crée aussi à l’avenir une « safe room » en cas d’attaque massive.

En 1999, sénateur, avec son complice du PS Julien Dray, à Paris. Aujourd’hui, ils ne se parlent plus.
En 1999, sénateur, avec son complice du PS Julien Dray, à Paris. Aujourd’hui, ils ne se parlent plus. © Jacques LANGE/PARISMATCH

Il faut se blinder dans tous les domaines, comme Mélenchon le rappelle dans « Le choix de l’insoumission » (éd. Seuil) : « Je me suis toujours organisé de façon militaire sur les questions d’argent. » Évidemment, c’est le nerf de la guerre, surtout ne pas être soumis à des regards extérieurs, encore moins à des créanciers. Une femme contrôle tout à ses côtés, Marie-Pierre Oprandi, alias « la Prussienne », fonctionnaire rencontrée au conseil général de l’Essonne dans les années 1980, vite enrôlée et convertie aux montages rusés. C’est avec elle qu’il a acquis sa première permanence à Massy, achetée avec ses indemnités de sénateur, louée en espace de « coworking » avant l’heure, et revendue avec une belle plus-value (rien d’illégal à l’époque), avant de créer ses structures politiques – le PRS, le Front de gauche, LFI – gérées par des associations dont L’Ère du peuple, au centre des investigations en cours sur la campagne de 2017.

Même le siège de La France insoumise, jouxtant la gare du Nord, a été acheté à la SNCF, via une SCI, sans consulter son bureau d’alors : « Tout fut, comme d’habitude, ficelé dans la plus grande opacité. » Excellente opération immobilière, légale, avec possibilité d’extension en hauteur et au sous-sol, où Mélenchon prévoit désormais d’installer sa fondation confiée à son autre janissaire, Bernard Pignerol.

Ce conseiller d’État, ex du PS, converti au trotskisme adolescent en Autriche, introduit par ses soins au Grand Orient de France, l’épaule dans tous ses combats, précieux, avec son entregent, ses réseaux éclectiques, de Bertrand Delanoë – un ami –, à Édouard Philippe et Bruno Le Maire, recrues cooptées dans la haute administration, qu’il appelle « mes clandestins ». L’ultime gardien du temple est Gabriel Amard, l’époux de Maryline, la fille de Mélenchon. Il a été candidat à toutes les élections, dans l’Essonne, le Nord, l’Isère, aujourd’hui à Villeurbanne, souvent défait, toujours chevronné, chargé de déposer les marques liées au leader, de gérer les produits dérivés, des tee-shirts aux cuvées de bourgogne, la validation des candidatures. « Probité et transparence », plaide-t-il depuis plus trente ans.

Avec sa compagne et première conseillère, Sophia Chikirou, lors du premier tour de l’élection présidentielle, le 22 avril 2012, à Paris.
Avec sa compagne et première conseillère, Sophia Chikirou, lors du premier tour de l’élection présidentielle, le 22 avril 2012, à Paris. © Charles Platiau / AFP

Personne, ou presque, n’en doute dans le mouvement : Mélenchon n’a guère le goût du luxe, même s’il sait apprécier un bon restaurant, un détail raffiné chez une femme – une broche, un foulard Hermès. Son patrimoine (un appartement de 1,2 million à Paris, une maison dans le Loiret estimée à 170 000 euros) est celui d’un élu ayant investi ses confortables émoluments ; et il a toujours versé la quasi-totalité de ses droits d’auteur à ses associations. Ses proches assurent qu’il a refusé, en 2015, un financement des Russes, 500 000 euros proposés par un émissaire surgi après de chaleureuses rencontres avec leur ambassadeur en France, Alexandre Orlov. Le Kremlin a vite apprécié ce tribun toujours déchaîné contre l’impérialisme américain, résolu à quitter l’Otan, à briser l’hégémonie du dollar, si bienveillant avec le régime de Poutine.

« La proposition a été formulée dans une salle sécurisée, se souvient un ex-lieutenant de Mélenchon. On les a poliment éconduits en leur disant sous forme de boutade : “Nous, vous savez, on marche avec des bouts de ficelle, 500 000, c’est beaucoup trop. Ça se verrait.” Ce refus a renforcé l’estime des Russes à l’égard de Jean-Luc, qui a été reçu à Moscou, où il a notamment rencontré, en 2018, Alexandre Grouchko [le vice-ministre des Affaires étrangères]. » Le député a tenu à loger à l’ambassade de France redoutant d’éventuels pièges russes.

L’ancien collaborateur de Mélenchon est, comme d’autres, plus embarrassé par l’attitude du chef à l’égard des pays d’Amérique latine, qu’il fréquente assidûment depuis sa participation, en 1992, au sommet de Porto Alegre. Comme toujours chez lui, il y a de la sincérité, de la passion pour ces terres chaudes porteuses d’une mystique, de héros tels Hernan Cortes, ce conquistador qui le fascine, de vrais révolutionnaires devenus des amis, tels l’ex-président du Brésil, Lula, celui du Venezuela, Hugo Chavez et l’actuel, Nicolas Maduro. Le régime de Caracas a financé le mouvement Podemos (une enquête est en cours en Espagne) et certains – notamment au Quai d’Orsay – le soupçonnent d’avoir aussi épaulé La France insoumise.

Obsédé par sa sécurité, il s’est constitué une petite armée et réclame qu’on lui crée une «safe room»

Rien ne l’atteste, mais quelques ex-piliers du mouvement se souviennent d’un singulier voyage à Caracas, en 2017, concocté sur place par un réfugié chilien, proche de Mélenchon depuis Massy, aujourd’hui candidat aux législatives. « Il est venu nous chercher au pied de l’avion dans une somptueuse berline rouge, entièrement blindée, conduite par un agent du renseignement ; il a ouvert, hilare, le coffre rempli d’armes, avant de nous présenter des ministres. Au retour, on fait part de notre malaise à Mélenchon, on lui dit : “C’est gros, tout de même.” Il évite le sujet. »

Toujours le déni, à peine un râle agacé quand des camarades se désolent de le voir nier les dérives du régime vénézuélien, le naufrage économique, la pauvreté, la corruption… Que dire de son admiration pour la Chine, dont il est si souvent revenu emballé, étrangement critique envers le dalaï-lama, et insensible aux droits de l’homme, au sort des Ouïgours, à la répression à Taïwan. Son antiaméricanisme prime, au diable les souffrances des peuples !

Visite de l’entreprise Le Bras Frères, engagée dans la restauration de Notre-Dame de Paris. À Jarny, en Meurthe-et-Moselle, le 24 mai.
Visite de l’entreprise Le Bras Frères, engagée dans la restauration de Notre-Dame de Paris. À Jarny, en Meurthe-et-Moselle, le 24 mai. © Baptiste Giroudon / Paris Match

La ligne, c’est lui. Variations permises uniquement s’il le décide. Combien de coups de barre, notamment sur l’Europe, qu’il a longtemps voulu révolutionner – c’était l’époque, de 2015 à 2017, où il courait entre Madrid, Athènes et Berlin, espérant convaincre les gauches radicales locales de le désigner leader de l’opposition à Bruxelles. Idem sur l’enseignement privé, naguère pourfendu, dorénavant défendu dans « La Croix », sans avertir ses colistiers. Le revirement majeur concerne la laïcité, longtemps ordinale, « qu’est-ce que porter le voile, si ce n’est s’infliger un stigmate », déclarait-il en 2010, fustigeant les fous d’Allah, avant de tourner le dos aux survivants de « Charlie Hebdo », de participer, aux côtés du CCIF, à la manifestation contre l’islamophobie, de focaliser son discours sur la défense des musulmans.

La députée Danièle Obono, partisane assumée du communautarisme, peut bien refuser de chanter « La Marseillaise » dans l’hémicycle, il soupire : « Allez, ce n’est pas si important… » Combien d’ex-compagnons de route, outrés, ont tenté de rappeler les fondamentaux, la défense de la République. Mélenchon ne goûte guère la contestation. Alors, il peut être virulent même envers ceux qui sont venus aider à décoller les papiers peints chez son gendre, « mes loulous, mes enfants », comme il les appelle, invités chez lui chaque 4 août pour y entonner des chants révolutionnaires.

Soudain, grosse colère: des SMS gorgés de fautes d’orthographe – lui qui écrit si bien – avec des «sale traître», «vendu», «pourriture»

Soudain, grosse colère : des SMS gorgés de fautes d’orthographe – lui qui écrit généralement si bien – avec des « sale traître », « vendu », « pourriture ». Les fidèles ne sont guère épargnés, comme Charlotte Girard, la compagne de François Delapierre, son héritier désigné brutalement décédé en 2015 ; une militante elle aussi, solide, universitaire, responsable du programme, porte-parole de LFI. Il a suffi qu’elle exprime, en 2019, ses réserves sur le fonctionnement du mouvement, pour qu’elle soit excommuniée. Insultes, silence, pas un geste envers ses deux petites filles que Mélenchon disait adorer. « La lionne ne critique pas le lion », a rappelé le gendre Amard.

L’ambiance n’a pas toujours été féministe à la France insoumise, les militantes du début se souviennent des blagues au restaurant du genre « donnez-moi une salope » (pour une escalope), des remarques salées sur le physique des lesbiennes ou sur les enragées de l’écriture inclusive. Mélenchon, pourtant curieux de tout, méprisait les ouvrages féministes, « quel ramassis de conneries », disait-il à propos du fameux essai de Françoise Héritier « Masculin/féminin ». Lui, le petit pied-noir échoué à Yvetot, en 1962, s’est tant entraîné à jurer devant le miroir pour avoir l’air viril. Il a appris chez les trotskistes que le sexe faible pouvait constituer un danger, un obstacle au combat politique. Il prône une forme d’ascétisme, parfois converti en actes : plus de tabac (stoppé après la défaite de Jospin en 2002), presque plus de viande, des retraites silencieuses chez lui, dans le Loiret, pour dessiner – son passe-temps favori –, creuser des tranchées contournant les racines envahissantes des bambous.

Traversée du Clain à pied pour alerter sur la crise de l’eau, à Poitiers (Vienne), le 2 juin
Traversée du Clain à pied pour alerter sur la crise de l’eau, à Poitiers (Vienne), le 2 juin © YOHAN BONNET / AFP

Cela ne l’a pas empêché de vivre de grandes histoires, même de se marier, en 1972, avec la mère de Maryline, une ex-militante devenue bibliothécaire, avant de jurer : « Plus jamais ! Les bonnes femmes, toutes pareilles, elles veulent vous emprisonner. » Il n’a pas souhaité institutionnaliser sa relation avec Sophia Chikirou, sa compagne depuis son départ du PS, celle qui a modernisé son image, créé son « Média », ses comptes Twitter et TikTok, facturé fort cher ses prestations de communicante lors de la campagne de 2017, au cœur de l’enquête, non close, du pôle financier du tribunal de Paris. « La Pompadour », la surnomme-t-on à LFI, personne n’en parle puisque le couple le veut ainsi et s’interdit en public toute marque d’affection. Elle est longtemps restée dans l’ombre, travailleuse à poigne, parfois volcanique, malmenant les uns, choyant les autres, dont Taha Bouhafs, le militant-reporter à l’origine de la vidéo sur l’affaire Benalla, aujourd’hui accusé de violences sexuelles.

«Quand je serai dictateur éclairé, je supprimerai les feuilles de salade sous l’entrecôte»

Peu à peu, Chikirou s’est affirmée sur les plateaux de télé ; elle est devenue plus politique, élue en 2021 conseillère régionale, aujourd’hui en lice pour la députation, à Paris. « Mélenchon, constate un proche, ne décide plus rien sans elle. » Au soir du premier tour, il l’a même fait monter sur scène derrière lui pour son grand numéro de perdant conquérant. Puis, le couple est parti se mettre au vert dans sa maison du Loiret. Comment jouer la suite ? Les messages des camarades affluaient, dont celui de Raquel Garrido relatant sa rencontre avec des jeunes surpris de la voir coller ses affichettes « merci », à Bobigny, où Mélenchon venait de récolter 60 % des voix. « Ils m’ont dit : “Alors, c’est perdu”, je leur ai répondu que non, il y avait encore les législatives, Mélenchon pouvait devenir Premier ministre ; tout de suite, ça a tilté… »

Même conseil donné par Sarah Legrain, la candidate insoumise du XIXe arrondissement de Paris, une normalienne, prof en BTS à Aulnay-sous-Bois, qui a vu ses élèves galvanisés par Mélenchon, sa façon de parler des violences policières, de défendre l’islam, de tenir tête à Zemmour chez Hanouna. À Marseille aussi, ces gamins venus voter pour la première fois, sous l’impulsion d’un grand frère, d’un imam, heureux d’apprendre que leur candidat pouvait encore gagner.

Mélenchon a donc annoncé un troisième tour, Matignon en ligne de mire. Cette scène d’une gauche soudain réunifiée par un tribun converti au populisme, sosie de Mélenchon, joué par François Morel, figure dans la saison 3 de « Baron noir », coécrite par Éric Benzekri, un ancien copain du temps de SOS Racisme. La réalité surpasse parfois la fiction, Jean-Luc a mis ses ex-adversaires de gauche K.-O., gommant soudain, par les arrangements électoraux, les lignes de fracture fondamentales. Et le voilà, sur TikTok, devant ses 2 millions de fans, filmé sur son nuage, prêt à remplacer Élisabeth Borne. Ses anciens camarades hallucinent, se renvoient l’un de ses messages fétiches qu’il adressait naguère : « Quand je serai dictateur éclairé de l’humanité, je supprimerai toutes les feuilles de salade sous l’entrecôte. » Verdure discriminante à ses yeux, seuls les pauvres la mangent, ignorant leur usage purement décoratif. C’est tout lui : l’humour, l’obsession, la revanche sociale, le pouvoir. Eux savent qu’il ne lâchera jamais, qu’il retentera sa chance en 2027. « Clemenceau est bien devenu président du Conseil à 76 ans, a-t-il soufflé à un ami. Et mon médecin me dit que j’ai un cœur de jeune homme.

 

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