Front républicain : les macronistes font barrage à la dignité
En duel face à la Nupes dans bon nombre de circonscriptions, la majorité d’Emmanuel Macron renvoie dos à dos l’extrême droite et la gauche unie, à grand renfort d’outrances et de mauvaise foi. Au mépris des principes, de l’histoire politique et de tout ce qu’elle prétendait défendre pendant la présidentielle.
Les macronistes aiment bien donner des leçons de morale aux autres. C’est même à ça qu’on les reconnaît. Mais souvent ces leçons leur reviennent en boomerang, laissant transparaître un tel niveau de mauvaise foi qu’on peut, sans abus de langage, parler de grand art. Dimanche soir, une grosse poignée d’entre eux nous ont fait don de leur talent en expliquant qu’en cas de duel entre la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) et le Rassemblement national (RN) au second tour des élections législatives, ils aviseraient « au cas par cas ».
Le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, mis en difficulté par la gauche unie dans sa circonscription du Finistère, a sans nul doute réalisé l’une des plus belles prouesses de la soirée en expliquant que le scrutin de dimanche prochain plaçait les électeurs et électrices « face à un choix de valeurs ». Il y a deux mois à peine, lorsque Emmanuel Macron avait besoin des 22 % de Jean-Luc Mélenchon pour battre Marine Le Pen à la présidentielle, le même homme avait célébré ses « valeurs communes » avec le chef de file de La France insoumise (LFI).
Dans son sillage, plusieurs membres du gouvernement et de la majorité sortante se sont emparés du « ni-ni » de la droite dévoyée la plus traditionnelle, en renvoyant dos à dos l’extrême droite et ce qu’ils s’entêtent à qualifier d’« extrême gauche » au mépris de l’histoire et de la réalité politiques. La ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, Amélie de Montchalin, elle aussi menacée par son adversaire de la Nupes dans l’Essonne, nous a ainsi offert un festival, lundi matin, en indiquant que nous étions « en train d’ouvrir un boulevard au désordre et au chaos ».
Atteignant le point « chars de l’Armée rouge » en un temps record, elle a mis en garde sur CNews « contre ces candidats qui promettent la soumission à la Russie, à des idées antisémites et l’affaiblissement de la France ». « J’appelle les républicains de gauche et de droite à faire barrage dimanche à l’extrême gauche, et à ceux qui s’y sont soumis pour des circonscriptions. Son vrai projet c’est le désordre et l’anarchie, la remise en cause permanente de nos institutions et des médias », a lancé celle qui avait condamné, en juin 2021, les hésitations de la gauche pour les régionales en Paca.
De la nuance à l’outrance
Jean-Michel Blanquer, qui n’a que l’expression « valeurs de la République » à la bouche, mais a visiblement oublié de relire la définition du mot « décence », a pour sa part estimé que « l’extrême gauche est un danger aussi important que l’extrême droite ». Éliminé dès le premier tour dans le Loiret, l’ex-ministre de l’éducation nationale a indiqué dimanche soir que « les radicalités vont à l’encontre de la République et de la démocratie ». « J’appelle de mes vœux le fait que, quelles que soient les différences politiques, on sache être davantage dans la nuance », avait-il pourtant dit le 24 avril.
L’heure n’est plus à la nuance, comme l’a également prouvé son ancienne collègue de gouvernement, Roxana Maracineanu. En position défavorable dans le Val-de-Marne, où elle a été devancée par la candidate de la Nupes Rachel Keke, l’ex-ministre des sports n’a rien trouvé de mieux que d’appeler au « front républicain » pour « faire barrage » à cette ancienne femme de ménage qui avait remporté une victoire sociale après presque deux ans de grève contre un groupe hôtelier.
Dès dimanche soir, plusieurs responsables de la majorité présidentielle expliquaient à Mediapart faire un distinguo entre les candidat·es de la Nupes. « Voter pour un socialiste et un écolo, aucun problème. Les Insoumis, c’est plus compliqué », confiait ainsi un ministre. Dans la 11e circonscription du Pas-de-Calais, la candidate Ensemble, elle, n’a même pas cherché à faire semblant. Éliminée au premier tour, Alexandra Pintus a invité son électorat à voter blanc pour éviter de choisir entre Marine Le Pen et Marine Tondelier d’Europe Écologie-Les Verts (EELV).
L’avènement de la dépolitisation
Stanislas Guerini a tenté de rectifier le tir, en vain. D’autres figures de la majorité présidentielle, comme le nouveau ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye, son collègue chargé de l’Europe Clément Beaune, ou encore la porte-parole du parti Maud Bregeon ont eux aussi donné de la voix pour rappeler quelques évidences aux égarés de leur famille politique. « Le combat contre l’extrême droite n’est pas un principe à géométrie variable », a souligné le premier sur Twitter.
Mais depuis vingt-quatre heures, le gros des troupes macronistes laisse surtout à voir le bois dont il est fait : du contreplaqué. En sombrant dans le confusionnisme et en revenant sur ce qu’ils disaient en avril, les responsables LREM vident de leur sens tous les principes derrière lesquels ils se drapent à longueur de journée. « Ceux qui plaident chez LR pour le “ni-ni” [ni Macron ni Le Pen] n’ont ni courage ni honnêteté », affirmait Christophe Castaner aux dernières régionales. On ne saurait dire mieux.
Aussi utile qu’elle puisse paraître électoralement – paraître car cela reste encore à prouver –, cette stratégie est absolument délétère d’un strict point de vue démocratique. Comme l’a souligné le politiste Samuel Hayat, chargé de recherche au CNRS, « les défenseurs du capitalisme sous-estiment les effets dépolitisants de leurs outrances sur les gens (qualifier la Nupes d’anarchiste, c’est détruire le sens des mots et la possibilité même d’un débat politique), ainsi que le risque que pose l’extrême droite ».
Macron, la gauche MajaxEn mettant « les extrêmes » dans un seul et même sac et en refusant de se prêter au « front républicain » qui lui a tant servi il y a à peine deux mois, la majorité sortante continue de participer à la banalisation du parti de Marine Le Pen, de ses idées et de ses figures. Elle rompt aussi avec les discours tenus dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle. Ce moment où Emmanuel Macron invitait chacun·e à le rejoindre du bon côté de la barrière, celui du champ républicain, dans lequel Jean-Luc Mélenchon – dont il avait salué la « clarté » – avait alors toute sa place.
« Si un tiers des électeurs s’est tourné vers l’extrême droite et son projet de repli, une majorité a fait le choix de candidats qui portent un projet d’ouverture, d’indépendance », avait d’ailleurs déclaré le président de la République dans les colonnes du Point. Mais la vie politique ressemblant, à bien des égards, à un aquarium de poissons rouges, cette situation n’a pas duré longtemps. Un tour de bocal a en effet suffi pour qu’Emmanuel Macron oublie qu’il devait sa réélection au choix républicain de l’électorat de gauche. Et pour qu’il se remette à le mépriser.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire