dimanche 26 juin 2022

IVG : "LA MAJORITE [FAIT] TABLE RASE DU PASSE" ! (voir aussi article commenté plus haut) (1)

Inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française : le virage à 180 degrés de la majorité

Alors que La République en marche a refusé d’inscrire le droit à l’avortement dans le marbre de la Constitution durant la précédente législature, elle opère désormais un changement de cap non sans arrière-pensée politique, mais salutaire face à la régression américaine.

Pauline Graulle  /  Médiapart

26 juin 2022 à 16h06 

 

Ni « utile », ni « nécessaire ». C’est par ces mots que la députée de La République en marche (LREM), Yaële Braun-Pivet, rejetait, en juillet 2018, un amendement déposé par La France insoumise (LFI) destiné à inscrire dans la Constitution le droit à l’avortement. « Il n’y a nul besoin de brandir des peurs relatives à ce qui se passe dans d’autres pays pour estimer que ces droits seraient menacés dans le nôtre, ce n’est absolument pas le cas aujourd’hui », affirmait, au beau  milieu de l’Assemblée nationale, la « marcheuse » pour justifier son refus.

Une ligne alors défendue en haut lieu, notamment par la ministre de la justice, Nicole Belloubet : « Vous proposez de garantir le droit à la contraception et à l’avortement dans le préambule de la constitution. Je ne suis pas certaine que ce soit le niveau de norme approprié pour garantir ces droits [qui] sont garantis par le code de la santé publique s’agissant de l’avortement », ajoutait ainsi la garde des Sceaux, déclenchant quelques remous sur les bancs à gauche de l’hémicycle.

Manifestation à Paris, le 24 juin. © Stéphane De Sakutin / AFP

Quatre ans plus tard, changement de braquet. Alors que la Cour suprême américaine annonçait, vendredi, un recul sans précédent du droit à l’avortement aux États-Unis, Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance (ex-LREM) à l’Assemblée, a annoncé, samedi, qu’elle déposait une proposition de loi constitutionnelle pour « inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution ».

Objectif avancé : « Sécuriser [ce droit, puisque] malheureusement, rien n’est impossible et les droits des femmes sont toujours des droits fragiles qui sont régulièrement remis en cause », a-t-elle argué, samedi 25 juin, sur France Inter, désignant au passage l’extrême droite, qui a fait une arrivée remarquée au Palais-Bourbon, comme une menace potentielle : « Je vois dans les nouveaux députés installés depuis cette semaine, notamment du RN, des députés qui sont des opposants farouches à l’accès des femmes à l’IVG. »

L’adage est connu : seuls les imbéciles ne changent pas d’avis. Reste que ce soudain retournement de veste a de quoi surprendre. Durant la dernière législature, l’idée de faire de l’IVG un droit fondamental est ainsi revenue à plusieurs reprises sur la table des discussions parlementaires. À chaque fois, elle fut balayée d'un revers de main par la majorité en place.

Ce fut le cas en 2018, d’abord, avec le vote de l’amendement de La France insoumise, rejeté en bloc par la plupart des députés de LREM. Puis en 2019, par la voix du sénateur socialiste Luc Carvounas, auteur d’une proposition de loi sur le même thème, déposée symboliquement le 1er juillet, jour de la Panthéonisation de Simone Veil.

Le texte, là encore soutenu par l’ensemble de la gauche, ne sera jamais mis à l’ordre du jour et finira dans un tiroir. « L’ambiance, c’était “circulez, y a rien à voir” », raconte Luc Carvounas, aujourd’hui maire d’Alfortville, qui rappelle pourtant le contexte de « trumpisme » triomphant de l'époque.

Avec un président américain qui fera des émules y compris de ce côté-ci de l’Atlantique, entre les restrictions drastiques de l’IVG en Pologne, et l'ouverture des vannes à un discours ultra-conservateur en France, à commencer par celui d'Éric Zemmour – qui n’a toutefois jamais défendu publiquement l’abrogation de la loi Veil.

De son côté, Emmanuel Macron, n’a eu de cesse de jouer double jeu : réclamant, d’un côté, l’inscription du droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, se prononçant, de l’autre, contre l’allongement des délais légaux d’accès à l’IVG de douze à quatorze semaines – une proposition de loi qui sera finalement adoptée en février 2022.

Coup double

Aujourd’hui, voilà donc la majorité décidée à faire table rase du passé. Justifiée par la décision américaine, ce « retour en arrière insupportable » qui « nous force à rappeler le caractère indispensable et inviolable du droit à l’avortement », expose le texte de la proposition de loi, l’initiative d'Aurore Bergé a été saluée aussi bien par des figures emblématiques de la Macronie » que par l’ensemble de la gauche.

Hier, la première ministre, Élisabeth Borne, déclarait ainsi qu’elle « soutiendra[it] avec force cette proposition de loi ». Quant au député de Marseille, proche de Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, il a accueilli avec satisfaction la « bonne nouvelle » tout en rappelant, comme bien d’autres observateurs, l’inertie qui avait prévalu durant le précédent mandat.  

Car s’il « faut prendre ce qu’il y a à prendre », selon l'expression de la sénatrice socialiste Laurence Rossignol, personne n’est dupe du « coup politique » qui préside à cette soudaine prise de conscience. Certes, Aurore Bergé s’était illustrée, au moment des débats sur l’allongement du délai légal en octobre 2020, par ses déclarations courageuses sur l’accès à l’avortement. « Il faut lui reconnaître son authenticité et sa constance sur le sujet », dit d’elle Laurence Rossignol, rapporteure du texte de 2022 au sein de la chambre haute.

Mais si la députée des Yvelines, fraîchement élue présidente du groupe Renaissance, affirme ainsi son premier acte fort de la législature, l’affaire apparaît également au bénéfice direct du président de la République. Une manœuvre loin d'être exempte d’arrière-pensées tactiques donc, alors que s’ouvre une période pour le moins délicate pour une République en marche en quête de majorités ad hoc.

Il s’agit d’abord de couper l’herbe sous le pied de la gauche. Vendredi, peu après l’annonce de la décision de la Cour suprême américaine, Mathilde Panot, présidente du groupe insoumis, était ainsi la première à ressortir, au nom de l’intergroupe de la Nouvelle Union populaire écologiste et sociale (Nupes), la proposition de loi de 2019.

D’où sa surprise de voir sa proposition reprise, presque mot pour mot, par Aurore Bergé quelques heures plus tard. « Nous nous félicitons de ce revirement », commentaient, non sans une pointe d’ironie, les présidents de groupe de la Nupes (Mathilde Panot pour LFI, Boris Vallaud pour le PS, André Chassaigne pour le PCF et Julien Bayou et Cyrielle Chatelain pour le groupe écologiste) dans un communiqué où ils précisent qu’ils déposeront « un texte commun à l’ensemble des groupes de l’Assemblée nationale qui le souhaitent ».

Une course de vitesse entre la Macronie et la gauche semble désormais engagée. Même si, « évidemment, Macron ne laissera pas le point à LFI », commente Luc Carvounas, qui déplore que ce « soi-disant “nouveau monde” use des mêmes méthodes et des mêmes poncifs que l’ancien ».

« Il y a de l’opportunisme là-dedans », juge de son côté la députée Clémentine Autain, auteure d’une résolution sur l’endométriose, votée à l’unanimité en janvier dernier. « Cela fait des années que les Marcheurs auraient eu la capacité de faire entrer le droit à l’avortement dans la Constitution, et ils ne l’ont jamais fait. Aujourd’hui, cette proposition de loi, aussi bienvenue soit-elle, ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt d’un bilan pas très glorieux sur les droits des femmes », ajoute l’Insoumise, qui indique toutefois qu’il ne fait pas de doute que la gauche votera sans sourciller cette « avancée ».

Outre la volonté de tuer dans l’œuf la montée en puissance d’une opposition de gauche qui s’est refait une santé aux dernières législatives, le positionnement de la majorité sur une ligne progressiste, relativement consensuelle et transpartisane concernant les questions dites « sociétales », recèle un autre avantage : ouvrir cette nouvelle ère de coalitions à géométrie variable. « Après les mauvais résultats du mois de juin pour Macron, LREM dessine ainsi l’idée d’une majorité de projet, avec la gauche sur les questions de société, avec la droite sur les questions économiques et sociales », observe ainsi Laurence Rossignol.

Neutraliser la gauche, mais aussi se démarquer de l’extrême droite : l’opération n’est ainsi pas non plus étrangère à la velléité des macronistes de se « racheter » à bon compte après avoir, des semaines durant, renvoyé dos à dos l’extrême droite et l’« extrême gauche » (sic). Une ligne qui avait été qualifiée d’« énorme connerie », y compris au sein des troupes présidentielles.

Si Marine Le Pen tente, depuis quarante-huit heures, de battre en brèche les soupçons adressés à son parti d’être pour le moins frileux sur la question de l’avortement – le quotidien Libération a révélé que la députée Laure Lavalette, porte-parole de Marine Le Pen, et élue du Rassemblement national dans le Var, avait signé un texte en 2014 réclamant l’abrogation de la loi sur l’avortement –, la proposition de loi d’Aurore Bergé devrait ainsi contraindre le RN à sortir du bois. Une mise en difficulté qui pourrait sonner comme une réussite inattendue pour la majorité en ce début de législature tourmentée.

Pauline Graulle

 

(1)  Et Macron navigue à vue - à la godille, comme indiqué dans le même commentaire. La journalise insiste ici sur son "double jeu".

J.P. C.  

 

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