vendredi 10 juin 2022

HISTORIQUE DES DISSIDENTS INTERNES DU PS, 'FOSSILISES'...

Ces socialistes qui refusent l’union, d’hier à aujourd’hui

Dans les années 1970, le programme commun fut rejeté par des membres du PS imprégnés de culture anticommuniste. Ils ne trouvèrent aucun espace pour une quelconque « troisième voie ». À cinquante ans de distance, le même défi se pose aux contempteurs de la Nupes. 

Fabien Escalona   /  Médiapart

10 juin 2022 à 16h26 

 

Un tournant stratégique vers la gauche, des réactions indignées, l’invocation de l’identité du parti et de ses grands ancêtres et, au bout du chemin, la tentative d’explorer une autre voie, quitte à contrevenir à la ligne fixée au niveau national. Les dissidences socialistes enregistrées aux élections législatives des 12 et 19 juin prochains ont comme un parfum des années 1970. 

Il faut en effet remonter cinquante ans en arrière pour retrouver une levée de boucliers, restée fort relative, qui fasse écho à celle que rencontre aujourd’hui la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) dans les rangs du PS dirigé par Olivier Faure. La dernière grande union des gauches, sous Lionel Jospin à la fin des années 1990, n’avait pas suscité les mêmes résistances.

Et pour cause : le PS était encore la force dominante de la coalition électorale, et le cap stratégique de l’union, même contrarié dans sa réalisation, ne souffrait aucune contestation de principe depuis les années 1970. « À partir de 1977, les responsables du parti qui ont compté se sont fait élire grâce à l’union de la gauche », note Pierre-Nicolas Baudot, chercheur en science politique à l’université Paris-Panthéon-Assas et spécialiste du PS. « Ils ont donc eu tendance à la défendre par la suite. » 

Entre-temps, le statut du PS dans le système partisan s’est dégradé. Une conflictualité, déjà latente sous la présidence de François Hollande, s’est réveillée à propos du système d’alliances à privilégier pour le parti à la rose. Elle a explosé avec la décision, qu’Olivier Faure a fait valider lors d’un conseil national houleux, de pactiser avec les Verts, le PCF et surtout les Insoumis pour un accord à la fois électoral et programmatique.

Jean-Christophe Cambadélis, François Hollande, Carole Delga, Bernard Cazeneuve et Stéphane Le Foll. © Photo illustration Sébastien Calvet / Mediapart
 

Les flèches contre l’accord trouvé au sein de la Nupes ont été décochées de la part de diverses personnalités et secteurs du parti. Il y a d’abord eu François Hollande, trustant les médias grâce à son statut d’ancien président de la République. Après avoir préventivement dénoncé la coalition des gauches, il a qualifié le programme d’« infaisable » et « inapplicable »

Ses trois anciens premiers ministres n’ont pas été en reste. Manuel Valls a carrément été investi par le camp présidentiel auprès des Français de l’étranger, avant d’être éliminé dès le premier tour. Bernard Cazeneuve a mis en scène son départ du PS, dénonçant « la violence » et « l’outrance des positions » de La France insoumise (LFI). Quant à Jean-Marc Ayrault, il a évoqué un « rafistolage ».

Jean-Christophe Cambadélis, l’ancien premier secrétaire du PS de 2014 à 2017, a également tenu une conférence de presse le 30 mai dernier, pour annoncer la création d’un mouvement visant la « refondation d’une gauche de gouvernement ». Un objectif impérieux, dans la mesure où, selon lui, « Mélenchon nous conduirait dans la situation de la Corée du Nord ».

Tout ce petit monde a récemment soutenu des candidatures socialistes dissidentes. Au nombre de 65 sur l’ensemble de la France, celles-ci sont néanmoins concentrées géographiquement, notamment en Occitanie et dans la Sarthe, c’est-à-dire les territoires où l’influence de deux autres contempteurs de l’union de la gauche est très forte.

Carole Delga, présidente de la région Occitanie, et Stéphane Le Foll, maire du Mans, jouent en effet les coordinateurs de la rébellion, avec la complicité d’autres élus moins exposés médiatiquement, comme la maire de Vaulx-en-Velin Hélène Geoffroy ou le président de région Loïg Chesnais-Girard. Tandis que Delga a repris la rhétorique vallsiste des deux gauches irréconciliables et n’hésite pas à accuser LFI de « communautarisme », Le Foll, qui est un opposant interne de longue date à Olivier Faure, lui reproche de diluer l’identité du PS jusqu’au risque de sa disparition. 

Les pourfendeurs oubliés du Programme commun

En comparaison, les élections législatives tenues après la signature du Programme commun entre le PS et le PCF en 1972, alors que ce dernier était encore la première force de gauche à l’échelle du pays, se sont déroulées avec moins d’accrocs. L’essentiel des dissidences de l’époque, explique Pierre-Nicolas Baudot, a plutôt été visible lors des élections municipales de 1977 : « L’union à gauche était devenue obligatoire dans les villes de plus de 2 500 habitants, et dès le premier tour dans les villes de plus 30 000. »

En juin 1976, le PS avait en effet voté la fin des vieilles alliances héritées de la IVRépublique, dites de « Troisième Force ». Il s’agissait d’alliances à la fois anticommunistes et antigaullistes, avec des partis du centre et du centre-droit, tels que le Mouvement républicain populaire (MRP). Le politiste remarque toutefois que « les exclusions ont été rares, grâce à divers contournements de la règle qui ont arrangé le centre partisan, lequel déléguait par ailleurs les cas litigieux aux fédérations départementales ».

Les ressorts des résistances à l’union de la gauche présentent des similitudes avec la situation contemporaine. Le facteur idéologique, se traduisant par le refus d’un rapport privilégié avec une force considérée comme trop radicale, est visible dans les deux cas. Pierre-Nicolas Baudot, qui a travaillé sur les archives de sections clermontoises et roubaisiennes, y a bien perçu « l’anticommunisme des anciens SFIO » (le nom du parti avant sa refondation à Épinay en 1971).

Le cas de Max Lejeune, député sortant de la Somme initialement investi par le PS en prévision des élections de 1973, est emblématique. Refusant de signer un document l’engageant à respecter l’union de la gauche, Lejeune resta en lice contre un autre candidat envoyé par le PS, ce qui provoqua – pour le coup – son exclusion du parti. 

Max Lejeune (1909-1995). © DR

Son biographe, Jean-Marc Binot, raconte comment l’élu martelait que « le PCF représent[ait] un réel danger pour la démocratie ». Selon lui, le propos de Lejeune se justifie alors « sans cesse par rapport à l’histoire et au passé, aux événements qu’il a connus : l’ambiance de guerre civile en 1947, l’invasion de la Hongrie en 1956 et de la Tchécoslovaquie en 1968. Un discours que n’écoutent, ni n’entendent de jeunes adhérents du PS, qui se moquent bien de ses références, comme des dinosaures de la SFIO ».

Ici, un facteur générationnel semble croiser le facteur idéologique, et a d’ailleurs été mis en avant concernant les réticences à l’union de 2022. « Ceux qui s’expriment contre la Nupes ont connu un PS hégémonique par le passé, et certains d’entre eux ont leur carrière derrière eux, ce qui rend une éventuelle dissidence moins coûteuse », remarque Pierre-Nicolas Baudot. Cette clé d’explication doit cependant être maniée avec prudence. Il existe en effet, dans les années 1970 comme aujourd’hui, de nombreux contre-exemples du lien entre l’âge et le positionnement politique concernant l’union.

Ancien des Jeunesses socialistes, animateur d’un courant anticommuniste à l’intérieur du PS mitterrandien, Éric Hintermann est par exemple dans la force de l’âge quand il fait scission en 1975 pour fonder la Fédération des socialistes démocrates (FSD). Il publiera en 1979 un Manifeste pour une social-démocratie française, dans lequel il regrette la « stratégie de rupture » du PS et vante l’alliance avec les « démocrates réformateurs » qui ne veulent pas combattre le capitalisme mais « ses excès » – d’où son soutien à Valéry Giscard d’Estaing en 1981.

Dans une contribution à un ouvrage collectif paru en 2012, l’historien Gilles Morin préfère invoquer l’argument générationnel pour expliquer l’échec des dissidents de cette époque, plutôt que leurs motivations. De fait, beaucoup disparaissent ou se font dépasser en nombre par les nouvelles recrues du parti.

A contrario, des figures socialistes anciennes soutiennent l’accord de 2022, comme Lionel Jospin ou Martine Aubry, tandis que des responsables quadragénaires ou quinquagénaires, comme le maire de Montpellier Michaël Delafosse ou Carole Delga, fustigent la Nupes. Pour le comprendre, outre les différences idéologiques, il faut aussi prendre en compte les logiques de courants et de territoires, qui comptaient également dans les années 1970.

Des leaders opposés au centre partisan pour diverses raisons peuvent ainsi entraîner une fédération tout entière, comme l’atteste la relative concentration territoriale des dissidences. Au niveau local, le fait d’avoir entretenu des rapports conflictuels avec le reste de la gauche, en particulier LFI, peut inciter à refuser l’union. Si celle-ci apparaît au contraire comme un viatique indispensable pour préserver des positions, alors elle vaudra bien un soutien, même du bout des lèvres.

L’avenir incertain de la dissidence

Un autre point commun des résistances à l’union de la gauche, à cinquante ans d’écart, réside dans leur dispersion.

Les grands élus locaux d’aujourd’hui n’ont pas forcément envie de s’associer à François Hollande et à la période d’effondrement qu’il symbolise pour le parti. Pour l’instant, chacun y va de son club de réflexion ou de son mouvement, depuis « Nouvelle Société » présidé par Cambadélis jusqu’à « Réinventez ! » fondé par Julien Dray, sans que l’on sache si ces efforts seront articulés à ceux des opposants internes à Olivier Faure, qui devront l’affronter au prochain congrès du PS cet automne.

Dans les années 1970, les petites formations sociales-démocrates critiques de l’alliance avec le PCF s’étaient lancées l’une après l’autre, fusionnant péniblement et partiellement au cours des années 1970, avant de s’intégrer à la majorité giscardienne. La « seule cohérence » de ces acteurs, commente Gilles Morin, « était l’anticommunisme et la recherche d’une troisième voie que la plupart ont vite abandonnée ».

C’est sans doute là le point de comparaison le plus crucial : l’espace stratégique dont disposent les socialistes hostiles à l’union de toutes les gauches. A posteriori, on peut constater que la dynamique de bipolarisation droite/gauche n’a laissé aucune chance aux nostalgiques de la Troisième Force, ou à ceux qui souhaitaient la victoire électorale sans en passer par le compagnonnage avec le PCF.

In fine, ils ont dû choisir leur camp et ont donc basculé à droite. Entre-temps, ils n’ont fait que de la figuration, à l’instar d’Émile Muller, candidat méconnu du Mouvement démocrate socialiste de France à l’élection présidentielle de 1974, lors de laquelle il a dû se contenter de 0,7 % des suffrages. « Ces minorités sont peu importantes sur le plan historique par leur marginalité et sur le plan idéologique par leur faible production », tranche Gilles Morin dans son étude.

Les résistants contemporains à la Nupes sont-ils voués à la même insignifiance ? À première vue, le tiers chemin entre d’un côté la dilution dans la « grande coalition » d’Emmanuel Macron, qui prétend abriter la social-démocratie, et d’un autre côté l’intégration à un espace de gauche défini par la justice climatique et sociale, semble difficilement trouvable.

C’est l’argument principal d’Olivier Faure : après le score calamiteux de 1,7 % obtenu par Anne Hidalgo et sa ligne autonome le 10 avril dernier, ses opposants doivent administrer la preuve qu’ils pourraient se frayer un chemin vers le pouvoir sans se rallier au camp présidentiel. 

S’ils se décident à affronter l’actuel premier secrétaire, les contempteurs socialistes de la Nupes sont donc mis au pied du mur. Il leur faudra définir concrètement le contenu doctrinal de la « social-démocratie » qu’ils invoquent comme la victime de l’union de la gauche, mais aussi indiquer ses conditions de viabilité électorale. C’est ce que n’avaient pas réussi leurs prédécesseurs des années 1970, au contraire de François Mitterrand lorsqu’il a pris – et conservé – le Parti socialiste pour le ramener, en dix ans, au sommet du pouvoir national.

Fabien Escalona

 

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