mercredi 27 avril 2022

ARTICLES ET PHOTOS (bis) A LA MESURE DU "RETOUR SUR TERRES", AVEC PROMESSE D' "INTENSIFIER UNE CULTURE DE RESISTANCE".

Des mobilisations contre la bétonnisation des champs et pour briser « l’état de sidération » électoral

Deux jours à peine après la réélection d’Emmanuel Macron, une cinquantaine de collectifs locaux ont appelé mardi 26 avril à des actions de résistance à travers la France. Sur le plateau de Saclay (Essonne), des activistes se sont mobilisés contre un des plus grands chantiers du Grand Paris.

Mickaël Correia  /  Médiapart

27 avril 2022 à 09h59 

 

Palaiseau (Essonne).– Une énorme mésange en robe d’avocat, allégorie d’une nature qui se défend, semble avoir pris la tête d’un cortège de deux cents activistes écologistes. En ce matin du 26 avril, sous un soleil printanier, les manifestant·es défilent au son de la marche funèbre pour pleurer la fin des terres nourricières en Île-de-France.

Les militant·es s’étaient donné rendez-vous à Palaiseau pour déambuler ensuite à travers le plateau de Saclay. Situé à 15 kilomètres au sud de Paris, ce territoire comporte 3 000 hectares de terres agricoles d’une qualité agronomique exceptionnelle. Mais depuis plus d’une dizaine d’années, il est victime d’un des chantiers écocidaires les plus emblématiques du Grand Paris, lancé sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

Il consiste en un « campus urbain » qui réunit aujourd’hui de grandes écoles comme Polytechnique ou Centrale Supelec, des universités et des services de recherche et développement de multinationales comme EDF et Thales. À terme, l’établissement public qui aménage ce « cluster scientifique » devrait concentrer 20 % de toute la recherche française.

Marche action contre la bétonisation du Plateau de Saclay. Palaiseau, 26 avril 2022. © Photo : MC/Mediapart
 
 
 
 

« Annexé à ce projet, l’Établissement public d’aménagement Paris-Saclay veut aussi construire dix gares d’une nouvelle ligne métro 18 en plein champs pour un coût de 4,4 milliards d’euros, explique à Mediapart Sabrina Belbachir, du collectif contre la Ligne 18. Le cluster scientifique ouvre ses portes en septembre prochain. 400 hectares de terres agricoles ont déjà été bétonnés pour ce campus. Et il y a un effet d’appel d’air : LVMH s’est par exemple dit intéressé à installer des équipements ici. C’est perçu comme le nouvel eldorado et la spéculation immobilière bat son plein. Quant à la ligne 18, les piliers du tronçon aérien du métro sont en cours d’élévation. »

Conseillère départementale Europe Écologie-Les Verts (EELV) de l’Essonne, Anne Launay indique pour sa part : « C’est surtout une opération foncière bien juteuse qui est à l’œuvre ici. Et c’est un non-sens de vouloir regrouper autant de scientifiques au détriment de terres nourricières parmi les plus fertiles du pays. Enfin, la ligne 18 est surdimensionnée et fragmente les fermes, au grand dam des agriculteurs locaux. »

Toujours emmené par la mésange géante portant une robe d’avocat, le cortège s’arrête devant un des chantiers du plateau de Saclay, celui du tunnelier « Céline », qui creuse six kilomètres de la future ligne de métro entre Palaiseau et Massy.

Marche action contre la bétonisation du Plateau de Saclay. Palaiseau, 26 avril 2022. © Photo : MC/Mediapart
 

« Ce métro ne correspond pas du tout aux besoins de transport des habitants. Il est ici pour ouvrir l’urbanisation du plateau de Saclay, détaille David Saussol, maire adjoint au développement économique et assistant de Cédric Villani, député de l’Essonne. On bétonne des terres au nom d’un fantasme d’une Silicon Valley à la française, c’est absurde. Un outil de l’Inra montre que Saclay est la seule commune du territoire à être en capacité d’être autonome d’un point de vue alimentaire. D’ici cinq ans, avec ce projet, ce sera terminé. »

En 2009, l’État a déclaré que le chantier de Saclay était une opération d’intérêt national, s’accordant de facto des prérogatives d’urbanisme. Au nom de la compétitivité, les élu·es du plateau n’ont finalement pas eu leur mot à dire sur le saccage et le bétonnage de leurs communes.

Devant l’attroupement des militant·es écologistes, quelques ouvriers du chantier s’arrêtent, curieux. S’ensuit alors un dialogue entre l’un d’entre eux et le manifestant sous le déguisement de mésange :

La mésange lance : « Il faut arrêter le chantier tout de suite.

Mais avec le pouvoir d’achat, on est juste dans la merde : qu’est-ce que je mets dans le frigo moi ? Nous, on est des petits, c’est aux gros qu’il faut parler. Moi, je suis à moitié d’accord avec vous à propos des terres, lui répond l’ouvrier.

Je sais bien que c’est aux gros qu’il faut parler, acquiesce la mésange.

– Nous, on est payé pour ça. Franchement, je suis dans la campagne, je suis d’accord, là c’est moche, concède l’ouvrier.

La plupart des ouvriers avec qui on discute nous disent la même chose.

C’est que ça va faire des heureux certainement : avant, c’était des terres agricoles, c’était magnifique, vous prêchez un converti. Nous, on nous dit tu viens-là, tu fermes ta gueule et tu charges des camions. Et nous, on a besoin de manger.

Dans cette histoire, on est tous victimes de ces salopards », conclut la mésange.

À Saclay, la guerre de deux mondes

Cette mobilisation sur le plateau de Saclay est organisée dans le cadre de Retour sur terres, une journée d’une trentaine d’actions de résistance écologique au quinquennat Macron organisées à travers la France « pour enrayer la machine œuvrant à l’intoxication du monde ».

« Depuis le 17 juin 2020, quatre grandes vagues d’actions coordonnées de collectifs locaux contre des projets imposés ont été mises sur pied, raconte Gilles Sabatier, membre du collectif à l'origine de ces
différents appels. Après la dernière mobilisation nationale des collectifs, qui date de septembre 2021, nous avons décidé d’organiser des mobilisations juste après le second tour pour briser cet état de sidération qui suit généralement l’élection. Le but est de réagir de suite, d’interpeller sur le fait que les infrastructures nuisibles au vivant existent toujours. »

En ce 26 avril, des activistes ont ainsi dressé un mur de parpaings devant le ministère en charge de l’écologie à Paris. À Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence), des collectifs de forestier·es et d’habitant·es ont marché contre le photovoltaïque industriel. Dans le Tarn, à Lescout, des paysan·nes et des collectifs ont bloqué le chantier d’extension d’une ferme usine qui vise une capacité d’élevage de 200 000 poules. Et une première mobilisation a eu lieu à Rouen (Seine-Maritime) contre le groupe sucrier dubaïote AKS, qui prévoit de construire dans le secteur la plus grande sucrerie d’Europe, doublée d’un méthaniseur industriel sur les bords de Seine.

Marche-action contre la bétonisation du Plateau de Saclay. Palaiseau, 26 avril 2022. © Photo : MC/Mediapart
 

« C’est important de maintenir la pression car malgré les annonces suite à son élection, on voit que Macron n’a finalement qu’une vision environnementaliste de l’écologie, ne faisant pas le lien avec le social et l’économie », commente l’élue Anne Launay.

Figure de proue de la lutte pour la défense des terres fertiles du triangle de Gonesse (Val-d’Oise), au nord de la capitale, menacées par la future ligne de métro 17 du Grand Paris, Bernard Loup lance au micro de la sono : « Après les élections, c’est normal de se retrouver ici, à Saclay. Le gouvernement s’obstine à vouloir bétonner les champs et n’a pas du tout pris le virage de la transition écologique. Le combat continue pour préserver les terres et pour l’autonomie alimentaire. »

D’autres collectifs franciliens se sont joints à la marche, à l’instar de Saccage 2024, qui s’oppose aux destructions écologiques et sociales que provoquent les futurs Jeux olympiques de Paris.

« Les Jeux de 2024 participent à accélérer ce projet de métropolisation du Grand Paris. On est venu car on a les mêmes adversaires, témoigne Amelle, membre du collectif. Nous sommes là deux jours après la réélection de Macron car nous n’attendons plus rien de lui. Nous sommes tout simplement dans la continuité de notre lutte car nous savons que les cinq prochaines années vont être dures. »

Marche-action contre la bétonisation du Plateau de Saclay. Palaiseau, 26 avril 2022. © Photo : MC/Mediapart
 

Yun, du collectif des Jardins à défendre d’Aubervilliers, des jardins ouvriers menacés par la construction d’un solarium pour les futurs Jeux olympiques, lance : « Nous luttons depuis deux ans, et nous avons déjà énormément gagné : les travaux ont été arrêtés en mars dernier car déclarés illégaux. Tous les collectifs franciliens sont là aujourd’hui pour imposer un rapport de force au Grand Paris. »

Après avoir longé des champs de colza en fleur, le défilé se termine entre l’EDF Lab Paris-Saclay, le Danone Nutricia Research et les futurs piliers du tronçon aérien du métro. La veille au soir, des activistes ont apposé sur ces géants de béton d’immenses affiches dénonçant l’écocide en cours.

Un coup de sifflet signe soudain le moment du die-in : les manifestant·es s’allongent par terre pendant plusieurs minutes à l’intérieur d’un périmètre balisé « Scène de crime ». En l’occurrence, le plateau de Saclay, avec une arme : le béton.

L’action s’achève par une mise en bière de la mésange de papier mâché, tuée par les pelleteuses de l’urbanisation à tous crins.

"Die-in" lors de la marche-action contre la bétonisation du Plateau de Saclay. Palaiseau, 26 avril 2022. © Photo : MC/Mediapart
 

« On est face à une jungle de béton qui pousse plus vite que le colza, conclut au micro Gaspard Manesse, de la Confédération paysanne d’Île-de-France. On est ici sur une terre incroyablement fertile et dans un bassin de dix millions de personnes à nourrir : on pourrait installer beaucoup de paysans. En somme, face à ce saccage, on sait déjà ce qu’il faudrait faire. »

Après cette journée « Retour sur terres », l’ensemble des collectifs locaux de lutte contre les projets toxiques promet d’« intensifier une culture de résistance partout en France ».

Mickaël Correia


 

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