vendredi 4 mars 2022

O.TONNEAU POINTE LE 'PARTI PRIS' DE E. PLENEL (cf. article ci-dessus) MINORANT LE RÔLE DE L'OTAN DANS LA SITUATION PRESENTE EN UKRAINE... (1)

Billet de blog 3 mars 2022

Plenel et Mélenchon sur l'Ukraine

Dans son 'Parti Pris' du 2 Mars, Edwy Plenel propose un irréfutable exposé de la nature du régime de Vladimir Poutine, contrepoint précieux aux analyses qui font de l’expansion de l’OTAN la seule cause de la guerre. Il est regrettable qu'il torde à son tour le bâton dans l'autre sens.


Olivier Tonneau
Enseignant-chercheur à l'Université de Cambridge
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 

Dans son 'Parti Pris' du 2 Mars, Edwy Plenel propose un irréfutable exposé de la nature du régime de Vladimir Poutine, contrepoint précieux aux analyses qui font de l’expansion de l’OTAN et des menées américaines en Ukraine les seules causes de la guerre. S’il est indispensable à toute compréhension de la situation de prendre acte des motifs propres à l’impérialisme de Poutine, Edwy Plenel semble pourtant tordre le bâton dans l’autre sens. Ainsi affirme-t-il dans la première moitié de son texte que l’OTAN n’est pour absolument rien dans la situation actuelle, avant de faire l’historique de ses erreurs :

« Oui, l’Occident, en tant que réalité politique, s’est enivré de sa victoire par défaut après l’effondrement de l’URSS sur elle-même en 1991. Pactisant avec la nouvelle classe dirigeante qui s’enrichissait en pillant les dépouilles soviétiques, il s’est comporté en puissance arrogante et dominatrice, portée par sa croyance en une fin de l’Histoire dont le capitalisme, libéré de toute entrave et menace, serait le terme. »

S’ensuivent des évocations de la guerre contre le terrorisme lancée après le 11 septembre, de l’absence de soutien aux révolutions démocratiques arabes et de la guerre en Libye. Pour ce qui est de la crise ukrainienne, en revanche, Edwy Plenel se contente de dire que « l’Europe fut pusillanime, dans un mélange d’inconscience et d’hésitation. Tandis qu’elle ne rechignait guère à faire affaire – et des affaires – avec l’oligarchie poutinienne, jusqu’à tolérer la vénalité pro-russe de certains de ses anciens dirigeants, elle se reposait sur l’alliance atlantique sous domination américaine au lieu de s’affirmer comme puissance autonome, y compris en matière de défense. » On comprend que le tort de l’Europe est de s’être reposé sur l’OTAN qui aurait dû protéger l’Ukraine mieux qu’elle ne l’a fait. Décidément, la question de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN n’aurait joué aucun rôle dans la crise ukrainienne. C’est faire fi d’innombrables affirmations contraires.

- George Kennan, architecte de la stratégie américaine de la guerre froide avertissait dès 1998 que l'expansion de l'OTAN était une « erreur tragique » qui finirait par provoquer une « mauvaise réaction de la Russie. »

- Jack F. Matlock Jr., ambassadeur des États-Unis en Union soviétique de 1987 à 1991, écrivait en 1997 que l'expansion de l'OTAN était « la bévue stratégique la plus profonde, encourageant une chaîne d'événements qui pourrait produire la menace la plus grave pour la sécurité depuis l'effondrement de l'Union soviétique. »

- En 2014, Kissinger avertit que « pour la Russie, l'Ukraine ne peut jamais être un simple pays étranger » et que l'Occident a donc besoin d'une politique visant à la « réconciliation ». Il affirmait que « l'Ukraine ne devrait pas rejoindre l'OTAN. »

- Le secrétaire à la Défense de Clinton, William Perry, explique dans ses mémoires que pour lui, l'élargissement de l'OTAN est la cause de « la rupture des relations avec la Russie » et qu'en 1996, il s'y opposait tellement que « sous la force de ma conviction, j'ai envisagé de démissionner ».

- Bill Burns, directeur de la CIA, en 2008 : « L'entrée ukrainienne dans l'OTAN est la plus brillante de toutes les lignes rouges pour [la Russie] » et « Je n'ai encore trouvé personne qui considère l'Ukraine dans l'OTAN comme autre chose qu'un défi direct pour les intérêts russes ».

- L'ancien secrétaire américain à la Défense, Bob Gates, dans ses mémoires de 2015 : « Agir si vite pour étendre l'OTAN était une erreur. [... ] Essayer d'amener la Géorgie et l'Ukraine dans l'OTAN était vraiment exagéré et une provocation particulièrement monumentale ».

- Sir Roderic Lyne, ancien ambassadeur britannique en Russie, a averti il y a un an que « pousser l'Ukraine dans l'OTAN [... ] est stupide à tous les niveaux ». Il ajoute « si vous voulez déclencher une guerre avec la Russie, c'est la meilleure façon de le faire ».

Or la question de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN a bien été posée lorsqu’en Juin 2017, le Parlement Ukrainien a adopté une législation qui en faisait un objectif de politique extérieure, puis lorsqu’un amendement à la Constitution ukrainienne a été voté en 2019 pour permettre que cet objectif soit atteint, enfin en septembre 2020 lorsque le président Volodymyr Zelensky a approuvé la nouvelle Stratégie de Sécurité Nationale qui renforçait le partenariat avec l’OTAN en vue de l’intégrer. Aussi la lecture du 'Parti pris' d’Edwy Plenel donne-t-il le sentiment désolant qu’il est décidément difficile de trouver une analyse du conflit qui ne fasse pas fi de l’un des membres de l’équation.

J’écrivais dans mon billet précédent que la focale sur les menées de l’OTAN dessine un horizon illusoire de résolution du conflit : si la Russie n’avait d’autre motivation que d’assurer sa sécurité, il suffirait de promettre la neutralité de l’Ukraine pour que l’armée russe se retire d’Ukraine. L’impérialisme poutinien ayant d’autres finalités que la sécurité, il est évident que cette issue est chimérique. Mais en n’accordant aucune place à la question de l’OTAN, Edwy Plenel sape toute base de négociation et semble finir par ne voir d’autre réponse à l’invasion de l’Ukraine que la guerre : 

« Il n’est d’autre urgence que de soutenir, défendre et aider, y compris militairement, celles et ceux qui résistent à l’agression de ce nouvel impérialisme russe. »

En chemin vers cette conclusion, Edwy Plenel critique la position de Jean-Luc Mélenchon : (1)

« Toute posture d’équidistance, renvoyant dos à dos des adversaires qui seraient tous deux menaçants, revient à en sous-estimer la nouveauté et la dangerosité. Dès lors, la réponse ne saurait être le retrait sur un Aventin national, dans une illusoire position d’équilibre au prétexte d’un non-alignement. »

Cette phrase semble présupposer le raisonnement suivant : le non-alignement repose sur l’idée que les deux camps sont équivalents, ce qui implique une sous-estimation de la menace que fait peser Poutine et mène à une forme de neutralité dont la conséquence concrète est le refus de participer à l’effort Européen de soutien militaire aux Ukrainiens. Mélenchon n’a pourtant cessé de répéter que s’il n’est pas aligné, il n’est pas pour autant neutre – l’agresseur est aujourd’hui Poutine et nul autre. Son refus du soutien militaire à l’Ukraine n’est pas motivé par la neutralité mais par la peur d’une escalade militaire. Cette peur est-elle fondée? On aimerait connaître l'opinion d'Edwy Plenel. Mais de ce risque d’escalade, il ne dit rien. Il est vrai que si nulle autre issue que la guerre n’existe, il faut en prendre le risque. C’est parce que Mélenchon croit à une solution diplomatique qu’il ne le prend pas.

Le non-alignement se justifie par la capacité qu’il donne à la France de développer une diplomatie singulière, qui ne soit indexée ni sur les vues Américaines, ni sur celles des Russes. Au cœur de cette solution diplomatique, il y a la question de l’appartenance de l’Ukraine à l’OTAN. Si les raisons de l’agressivité Russe ne se réduisent pas à la question de l’appartenance de l’Ukraine à l’OTAN, cette appartenance constituerait objectivement une menace sur la Russie. C’est pourquoi elle peut servir d’écran de fumée aux objectifs réels, mais c’est aussi pourquoi elle constitue un problème qu’il faudra bien régler pour parvenir à une paix durable. Alors pourquoi effacer ce problème de l’analyse du conflit ? 

Dans le cadre d’une négociation, proposer la neutralité de l’Ukraine, c’est, dit Mélenchon, « vider l’argument des Russes » : si les assurances légitimes concernant leur sécurité ne leur suffisent pas, c’est bien qu’ils mènent une guerre de pure conquête – guerre dont nul ne veut, pas même le peuple russe. C'est aussi dessiner une solution acceptable par tous (solution qui inclut également, Mélenchon ne cesse de le répéter, le retrait des missiles russes menaçant la France et le continent européen). Quand bien même les Russes n’en voudraient pas ne change rien à la nécessité de la chercher. N’est-il pas essentiel, dans un conflit de cette nature, de chercher à chaque pas l’horizon d’une paix commune, même si - ou surtout si - nous devons admettre qu’il faut opposer la force à l'agression Russe ? Il me semble que c'est seulement à ce prix que l’ « inter-nations » ou « internationalisme » qu'Edwy Plenel appelle de ses voeux peut être autre chose qu'une alliance de nations contre une autre, c'est-à-dire le retour de la guerre froide.

 

(1)  ..... et par voie de conséquence Olivier Tonneau s'oppose à Edwy Plenel quand celui-ci finit par critiquer la position de J.L. Mélenchon qui se tiendrait, selon lui, "dans une illusoire position d'équilibre au prétexte d'un non-alignement" (a). Tonneau le recadre à cet égard et l'interroge : "pourquoi effacer ce problème ("de l'appartenance de l'Ukraine à l'OTAN [qui] constituerait objectivement une menace sur la Russie") de l'analyse du conflit ?"

Alors que, poursuit-t-il, "dans le cadre d'une négociation, proposer la neutralité de l'Ukraine, c'est, dit Mélenchon, vider l'argument des Russes" : relisons le dernier paragraphe ci-dessus.

Ainsi, Tonneau s'invite fort utilement dans un débat indispensable, en s'opposant finalement à l'atlantisme développé plus qu'implicitement par Plenel.

J.P. C. 

 

(a)  Je rappelle que je me suis permis, dès le 27 février, d'ajouter mon (modeste) grain de sel sur ce sujet qui, débat démocratique oblige, ne devrait pas manquer d'être examiné encore et encore, très sérieusement, dans les temps qui viennent. Je pointais surtout les références historiques de la création du non-alignement, actif dans les années 60 post-coloniales, et les positions adoptées par les chefs d'Etat français. 

Pour aider celles/ceux qui souhaiteraient s'y référer, l'article en cause est repris ci-après : son intitulé ("S. Royal soutient la démarche de non-alignement de Mélenchon...") n'est que l'occasion qui a servi à introduire mon 'commentaire' de fond, bien sûr.

J.P. Carlin 

 

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