Attac s’en prend aux « candidats des inégalités »
Dans une publication à paraître jeudi, l’organisation Attac et l’Observatoire de la justice fiscale dénoncent le volet socioéconomique des projets de Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Éric Zemmour. Le rapport pointe « une offensive sans précédent contre le modèle social ».
À les écouter, leurs visions pour le pays n’ont pas grand-chose en commun. À titre d’exemple, Valérie Pécresse manque de s’étouffer quand on lui suggère qu’Emmanuel Macron est de droite et qualifie régulièrement Marine Le Pen et Éric Zemmour d’« extrémistes ». Tant la candidate du Rassemblement national (RN) que celui de Reconquête! renvoient Emmanuel Macron au camp des « progressistes » ou des « mondialistes », à l’opposé de leurs convictions.
Sur le plan socioéconomique, pourtant, les quatre candidat·es cité·es inscrivent leur projet dans le même logiciel néolibéral. C’est la thèse défendue par l’organisation non gouvernementale Attac et l’Observatoire de la justice fiscale, qui dénoncent dans un rapport au vitriol, à paraître ce jeudi 3 mars, l’impact potentiel sur les inégalités d’une victoire d’un·e de ces quatre présidentiables en avril prochain.
« Il est troublant, pour ne pas dire confondant, de voir la similarité des propositions économiques de Marine Le Pen, Éric Zemmour, Valérie Pécresse et Emmanuel Macron, écrivent les signataires du rapport. Ces quatre candidat·es mènent en effet une offensive sans précédent contre le modèle social sur des bases et des orientations communes. » Plus loin, le rapport insiste : qu’elles soient à droite ou à l’extrême droite, ces quatre personnalités « jouent la même partition » sur le plan économique.
Dans le détail, le rapport liste les mesures promises par Valérie Pécresse, Marine Le Pen et Éric Zemmour au cours de leurs premiers mois de campagne – aucun·e des trois n’ayant encore publié de programme à proprement parler. Pour ce qui est d’Emmanuel Macron, la donne est différente : le chef de l’État n’étant pas encore officiellement candidat au moment de la parution du rapport (il doit l’être au plus tard vendredi), il n’a évidemment pas formulé de propositions concrètes. Les auteurs ont tâché de recenser ses actions à la tête de l’État et ses positions connues pour esquisser les contours d’un éventuel second quinquennat.
Une fois ce travail de recension et d’analyse effectué, le verdict des auteurs et autrices du rapport est sans appel : une victoire d’un·e des quatre prétendant·es de droite ou d’extrême droite verrait « les inégalités de revenus, patrimoniales et sociales se [multiplier] ». « La mise en œuvre de [leurs] propositions signifierait davantage de richesses pour les plus aisés et un affaiblissement sans précédent de la redistribution sociale », dénoncent Attac et l’Observatoire de la justice fiscale.
Formulé comme tel, le jugement peut paraître attendu venant d’organisations classées à gauche, connues pour leur militantisme contre les inégalités. L’intérêt du rapport réside en fait dans deux aspects. D’une part, il rappelle de façon utile la proximité idéologique entre Emmanuel Macron et les trois candidat·es à sa droite, alors qu’une partie des soutiens du président sortant va agrémenter son entrée en campagne d’un discours sur sa prétendue action « sociale » (dédoublement de classes à l'école, Ségur de la santé…) pour capter un électorat de centre-gauche.
D’autre part, il documente et détaille les points de convergence et les nuances qui existent entre les différent·es prétendant·es. Fiscalité, chômage, retraites, services publics, lutte contre la fraude, politique salariale : chacun des volets de la future politique économique du prochain chef de l’État est décortiqué.
La baisse des impôts de production, nouvelle marotte
Sur le premier plan, les auteurs et autrices du rapport jugent ainsi que Valérie Pécresse, Marine Le Pen, Éric Zemmour et Emmanuel Macron « jouent la même partition », « inspirée d’une tradition conservatrice qui, depuis le XIXe siècle, n’a eu de cesse de combattre les impôts directs et le développement direct ». À cet égard, l’exemple des droits de donation et de succession paraît bavard. Sur ce sujet comme sur d’autres, un consensus se dessine autour de l’idée d’une réforme destinée à faciliter l’héritage.
En janvier, Emmanuel Macron disait son souhait de favoriser les « transmissions populaires » et, un mois plus tard, son ministre de l’économie, Bruno Le Maire, ouvrait la porte à une hausse du plafond d’exonération des droits de succession. Valérie Pécresse a déjà intégré la mesure à son programme : augmentation du plafond et abaissement du délai entre deux successions sont les deux jambes d’une politique fiscale destinée à « exonérer 95 % des Français » de ce que son conseiller Éric Ciotti appelle « l’impôt sur la mort ».
Éric Zemmour, lui aussi, propose d’autoriser les dons en franchise d’impôts jusqu’à 200 000 euros tous les 10 ans pour les parents et grands-parents. Marine Le Pen reprend l’autre principe défendu par la candidate LR, à savoir l’abaissement de la durée entre deux donations (actuellement fixée à 15 ans, elle passerait à 10 ans). À droite comme à l’extrême droite, ces mesures viennent s’inscrire dans un discours à destination des classes populaires ou moyennes.
Le rapport d’Attac rappelle pourtant que 85 % des successions, selon France Stratégie, sont déjà exonérées d’impôts. En outre, et à rebours des éléments de langage électoraux, l’héritage est loin d’être un outil démocratisé. « 50 % des individus auront hérité de moins de 70 000 euros de patrimoine tout au long de leur vie et, parmi ceux-là, une large fraction n’aura hérité d’aucun patrimoine », a rappelé en 2020 le Centre d’analyse économique (CAE).
Si bien que la même structure, pourtant rattachée au premier ministre, a récemment alerté sur le danger que représentait l’accroissement des inégalités de patrimoine en France (lire l’analyse de Romaric Godin). Décrivant le poids croissant de l’héritage dans la société française, le CAE prévenait des dégâts à venir pour « l’égalité des chances », pilier de « la démocratie ». Pas de quoi rebuter les candidat·es de droite et d’extrême droite, résolu·es à réformer la fiscalité de l’héritage.
Une autre des marottes de la campagne en cours est la chasse aux « impôts de production », notion qui n’a pas de définition juridique. Le patronat, lui, sait bien ce qu’il met derrière le terme : l’ensemble des taxes et contributions que paye l’entreprise, indépendamment de sa rentabilité. Une injustice qui nuit à la compétitivité de la France, dénonçait le Medef en recevant les candidat·es récemment. D’Emmanuel Macron à Marine Le Pen, ce discours a trouvé écho. Le président sortant a fait savoir, par le truchement de son ministre de l’économie, qu’il souhaitait « poursuivre la baisse » de ces impôts déjà amoindris de 10 milliards d’euros par an en 2020. Valérie Pécresse s’est déjà engagée à 10 nouveaux milliards de rabot en cinq ans.
Éric Zemmour voit plus grand et promet 30 milliards d’euros de baisse aux entreprises, tandis que Marine Le Pen a promis d’aller dans le même sens sans donner de chiffre. Un engouement généralisé qui fait dire à Attac : « Les inégalités entre petites et grandes entreprises sont une réalité qui serait aggravée » si ces propositions étaient mises en œuvre. Sans compter « le manque à gagner qu’il faudrait compenser : soit par le relèvement d’autres impôts […] soit par le transfert de missions publiques des collectivités territoriales et de la Sécurité sociale au secteur marchand. »
Par-delà ces deux exemples, le rapport dresse une énumération sérieuse des points de convergence entre les quatre « candidat·es des inégalités » : réforme de l’allocation-chômage pour durcir les conditions d’indemnisation des demandeurs et demandeuses d’emploi, réforme des retraites, refus d’augmenter le Smic… Autant de mesures qui font écho à celles réclamées par le Medef fin janvier, ce qui fait dire à Attac et à l’Observatoire de la justice fiscale que les visions de la société portées par les quatre candidat·es « sont bien plus favorables au patronat qu’aux citoyens ».
En attendant la publication des programmes définitifs, courant mars, le rapport a le mérite de remettre en lumière les enjeux socioéconomiques que la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont relégués au second plan. Par-delà les divergences de forme, de méthode ou sur des sujets annexes (ainsi du débat civilisationnel porté par Éric Zemmour), les auteurs et autrices du rapport dénoncent « l’offensive néolibérale » et « les idéaux conservateurs » de ce camp, documentant efficacement les conséquences « accélératrices des inégalités » de tels projets.
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