La BCE prend la tête de la révolution climatique
L’institution monétaire a décidé de donner une nouvelle dimension à sa politique monétaire : elle entend inscrire son action en lien avec le réchauffement climatique. Tout le monde financier et bancaire risque de s’en trouver bousculé et avec lui nombre de secteurs économiques.
C’est une petite révolution. La BCE entend à présent inscrire son action en lien direct avec le réchauffement climatique. Les conséquences risquent d’être importantes : le monde financier et bancaire va s’en trouver bousculé, tout comme de nombreux secteurs économiques.
La surprise est totale et elle est majeure. Deux mois avant la date prévue, la Banque centrale européenne (BCE) a présenté ce 8 juillet sa nouvelle revue stratégique. Un exercice auquel l’institution monétaire ne s’était pas livrée depuis 2003. Ce plan adopté « à l’unanimité » comporte une évolution majeure : la BCE a décidé d’inscrire son action en lien avec le changement climatique.
« Nous reconnaissons que le changement climatique est un défi existentiel pour le monde et qu’il est d’une importance stratégique dans le mandat de la BCE. Le conseil des gouverneurs a donc décidé de prendre en compte explicitement le changement climatique et la transition carbone dans notre nouvelle stratégie », déclare l’institution monétaire dans son communiqué. Comme une mise en garde face à l’immobilisme de nombre de gouvernements.
Angoissés à l’idée de voir le robinet des liquidités de la BCE se fermer, les investisseurs financiers préfèrent se concentrer sur la nouvelle qui leur importe dans l’instant : l’annonce d’un nouvel objectif d’inflation à 2 %. Depuis plus de dix ans, la zone euro n’a jamais atteint ce chiffre. Mais alors que le débat sur une reprise – momentanée ou non – de l’inflation fait fureur dans le monde économique et financier, cet objectif les assure que la politique monétaire ultra-accommodante à l’œuvre depuis plus de dix ans et qui profite tant va se poursuivre.
Le grand changement cependant est bien que la Banque centrale met le réchauffement climatique au cœur de sa stratégie. Car, derrière une présentation prudente et technique, c’est une révolution à laquelle nous convie l’institution monétaire, tant les changements esquissés sont porteurs de bouleversements financiers, économiques, sociétaux, politiques. Elle vient nous rappeler que dans la transition écologique aussi l’argent va être le nerf de la guerre. Et la BCE est prête à apporter un soutien immense et inespéré dans cette lutte.
Dès sa prise de fonction à la présidence de la BCE, Christine Lagarde avait indiqué qu’elle entendait mettre le réchauffement climatique et la transition écologique au cœur de son action. Ses propos avaient choqué nombre de banquiers centraux européens. Jamais ils ne permettraient une telle hérésie, avaient-ils prévenu.
Au nom du principe de neutralité de l’action de la Banque centrale, qui constitue un des fondements de l’ordo-libéralisme, la BCE, rappelèrent-ils, ne saurait intervenir ou guider les choix économiques et financiers des investisseurs, bousculer les marchés par nature « efficients ». L’influence de la Banque centrale, à commencer par sa politique d’assouplissement quantitatif et de taux zéro, sur les orientations financières et économiques, pourtant, n’est plus à démontrer.
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La bataille entre les défenseurs d’une banque centrale indépendante, emmenés par le président de la Bundesbank Jens Weidmann, et les partisans d’une banque centrale plus engagée a duré des mois. Les travaux de la banque des règlements internationaux sur les risques induits par le changement climatique (voir notre article), la multiplicité des accidents en tout genre (sécheresses, incendies, inondations…) qui se traduisent par des dégâts chiffrés en centaines de milliards de dollars, ont fini par convaincre la majorité du directoire de la BCE : le changement climatique recèle bien un danger systémique pour le système financier. Bousculant ses schémas, la BCE se permet même de parler d’éventuelles « inefficiences » du marché.
La grande révision
Dans les mois à venir, c’est tout son cadre de pensée, ses modèles macro-économiques, ses moyens d’intervention que la BCE s’apprête à revoir afin de prendre en compte les changements climatiques et de mieux adapter sa politique monétaire en réponse.
Toutes les données statistiques sont appelées à être revues et adaptées, en fonction des critères du changement climatique, de la tarification du carbone, de leur effet sur la croissance. Cette grande révision annonce de grands bouleversements.
Les centrales à charbon qui s’achetaient des centaines de millions d’euros encore au début des années 2010 et qui maintenant ne valent plus rien, voire coûtent des millions pour réhabiliter les terrains où elles étaient implantées, donnent un parfait exemple des mutations à l’œuvre. Ce sont des milliers d’actifs, voire des secteurs entiers considérés jusqu’alors comme participant à la croissance et générateurs de profits, qui pourront être jugés demain au contraire comme à risque, voire être abandonnés dans l’urgence. En fonction des caractéristiques de leur système productif, de leurs forces et leurs faiblesses, ce sont les économies des pays qui peuvent aussi être réexaminées et discutées.
Transhumances économiques et industrielles
Mais la mutation la plus rapide et sans doute la plus brutale est appelée à se produire dans le secteur financier. La BCE entend imposer très rapidement « des obligations de divulgation des actifs du secteur privé » dans le cadre de sa politique de rachats de dettes ou de titres admis en garantie. En clair, la Banque centrale va demander des garanties au nom de l’écologie.
Jusqu’à se donner toute liberté pour exclure ou non certains groupes ou certains secteurs, imposer des restrictions ou au contraire des primes en fonction de critères répondant à l’impératif du changement climatique ? C’est le sens implicite des lignes qu’elle s’est fixées, même si rien de précis n’est dit.
Cette stratégie va aussi être imposée au secteur financier. La résistance des banques, des assurances va être aussi évaluée en fonction de la qualité des actifs, des créances détenues dans leur bilan. Plus ces établissements porteront des actifs risqués au regard d’une économie décarbonée, plus ils risquent de se voir imposer des règles prudentielles ou des réserves élevées.
Alors que la pression s’intensifie déjà sur le secteur financier et bancaire pour arrêter d’investir et de soutenir les activités jugées comme les plus polluantes, les normes climatiques que se propose d’élaborer et d’imposer la BCE au monde financier risquent d’amener des réallocations massives de capitaux, de précipiter des transhumances économiques et industrielles.
Ce que redoutaient certains secteurs parmi les plus polluants, à commencer par les pétroliers, pourrait se concrétiser bien plus rapidement que prévu : ils risquent d’assister à un assèchement financier ou de se voir imposer de telles pénalités, de telles conditions qu’une partie de leurs opérations s’en trouvera condamnée.
Mais le cadre choisi par la BCE risque aussi d’influencer, de sélectionner certaines formes de transition écologique, de choix de technologies et d’approches par rapport à d’autres. L’indépendance de la Banque centrale ne peut justifier qu’elle choisisse et oriente seule ces choix. Autant il est bienvenu que la Banque centrale européenne apporte tout son soutien à une mutation hors norme qui va réclamer des moyens financiers gigantesques, autant il est indispensable que cette action s’inscrive dans le cadre d’un débat démocratique. Et ce débat-là, pour l’instant, n’existe pas.
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