Argentine : cinq minutes pour comprendre pourquoi la légalisation de l’avortement est historique
Le texte de loi adopté ce mercredi par le Congrès argentin rend l’avortement légal et gratuit dans le pays. Une exception en Amérique latine où seulement trois Etats autorisent cet acte médical sans conditions.
C'est une révolution dans ce pays sud-américain. Après les députés, les sénateurs ont, à leur tour, approuvé ce mercredi un texte de loi légalisant l'avortement. Mais pourquoi l'adoption de ce texte est-elle un enjeu aussi important pour l'Argentine ainsi que pour la région?
Que prévoyait la loi jusque-là ?
Depuis 1921, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) n'était permise en Argentine qu'en cas de viol ou de danger pour la vie de la femme. Dans les autres cas, cet acte était considéré comme un délit par le Code pénal argentin, et une femme qui y avait recours encourrait entre un et quatre ans de prison. Les médecins ou proches qui aidaient à mener à bien cet acte risquaient, pour leur part, jusqu'à six années de détention.
De nombreuses femmes étaient ainsi forcées de se faire avorter clandestinement. Selon le gouvernement argentin, cette pratique concernait même entre 370 000 et 520 000 d'entre elles, chaque année, dans ce pays de 44 millions d'habitants. Beaucoup plus dangereux que l'IVG, ces avortements illégaux conduisaient également à 38 000 hospitalisations par an suite à des complications post-avortement.
Que va changer ce texte ?
Cette loi autorise désormais l'IVG sans conditions et jusqu'à 14 semaines de grossesse. C'est plus qu'en France, où ce délai est de 12 semaines. Toutes les femmes de plus de 16 ans (et moins sous conditions) mais aussi les hommes trans, pourront avorter s'ils en font la demande. Et lorsque des patients exprimeront ce souhait, l'IVG devra être réalisée dans un délai de 10 jours maximum. « Il ne s'agit pas de favoriser l'avortement, mais de garantir un cadre légal et sanitaire pour qu'il puisse se passer en respectant la santé des femmes », analyse Maricel Rodriguez Blanco, docteure en sociologie de l'École des hautes études en sciences sociales et spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine. Ce texte autorise également le recours à l'avortement thérapeutique, aussi appelé Interruption médicale de grossesse (IMG), si la vie de la femme est menacée ou en cas de viol.
L'avortement sera intégré dans les prestations gratuites qu'offrent les hôpitaux et établissements de santé, qu'ils soient publics et privés. Mais ce dernier inclut toutefois la possibilité pour les médecins ou les établissements de faire valoir leur « objection de conscience ». Ils peuvent, avec cette clause, refuser de pratiquer des IVG, mais sont alors dans l'obligation de rediriger les patientes vers d'autres établissements qui pourront le faire à leur place.
Pourquoi est-ce historique ?
« L'enjeu est énorme, analyse Maricel Rodriguez Blanco. Cela montre le changement que connaît la société argentine. Une nouvelle génération de femmes hyper connectées a contribué à changer les pratiques des générations de leurs parents qui ont été éduqués sous une pression de l'Église catholique et de la morale chrétienne », poursuit la chercheuse. Ce texte s'inscrit dans la lignée de lois progressistes adoptées ces dernières années, à l'image de la légalisation du mariage homosexuel en 2010 ou de la loi permettant de choisir son genre, votée en 2012.
Depuis des années, les pro-IVG, ralliés autour de la couleur verte, ont fait une intense campagne sur les réseaux sociaux. En particulier la Campagne pour un avortement légal, sûr et gratuit, qui regroupe plus de 300 organisations féministes. Mais en 2018, le Sénat avait retoqué un texte de loi similaire visant à légaliser l'avortement, alors que cette question divisait profondément l'opinion publique.
Cette fois, la loi a été définitivement adoptée par le Congrès, grâce notamment à l'ajout de la clause « d'objection de conscience ». Mais attention, « tout n'est pas gagné », met en garde la spécialiste des mouvements sociaux. « Lors de sa mise en place, il y aura très probablement des cas dans des provinces conservatrices ou pauvres où tout le personnel d'un établissement de santé se déclarera objecteur de conscience, et il n'y aura peut-être pas d'institutions à proximité où envoyer les femmes souhaitant se faire avorter », alerte Maricel Rodriguez Blanco. La chercheuse rappelle que la précédente loi encadrant l'IVG sous conditions n'était déjà pas toujours respectée dans certaines provinces.
Quelles répercussions cette décision pourrait-elle avoir dans la région?
Selon l'institut américain Guttmacher, 97 % des femmes en âge de procréer en Amérique latine vivent dans des pays avec des lois sur l'IVG restrictives. Le recours à l'avortement sans condition n'est possible que dans trois pays : à Cuba (depuis 1965), à Guyana (depuis 2006) et en Uruguay (depuis 2012) ainsi que dans certains Etats mexicains, dans la ville de Mexico et dans l'Etat de Oaxaca.
« L'adoption d'une loi qui légalise l'avortement dans un pays catholique aussi grand que l'Argentine va dynamiser la lutte pour garantir les droits des femmes en Amérique latine », s'est félicité Juan Pappier, chercheur spécialiste des Amériques, à Human Rights Watch. « Ça permettra de diffuser leurs revendications dans d'autres pays de la région, car les mouvements féministes sont très internationalisés », abonde Maricel Rodriguez Blanco. Du Mexique au Chili, les féministes latino-américaines mènent déjà d'autres combats depuis plusieurs années, contre les violences sexistes et sexuelles ou les inégalités sociales. La victoire des féministes argentines devrait encore les conforter dans leur lutte.
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