dimanche 27 décembre 2020

BIO : "ÊTRE PRESENT PARTOUT ET POUR TOUS"... A CONDITION QUE LE "PORTEUR DE PROJET LOCAL" NE SOIT PAS TROP GOURMAND ?

Ile-de-France : pourquoi le bio ne perce pas dans les villes populaires

Des communes comme Evry-Courcouronnes ou Saint-Denis ne comptent aucune grande enseigne bio. Pourtant, plusieurs acteurs estiment qu’il y a aussi un marché dans ces territoires malgré un pouvoir d’achat moindre.

En France, 80 % des consommateurs occasionnels de produits bio estiment que leur prix généralement plus élevé est un frein.
En France, 80 % des consommateurs occasionnels de produits bio estiment que leur prix généralement plus élevé est un frein. LP/Fred Dugit

Il y a deux ans, quand il est arrivé à Evry-Courcouronnes (Essonne), Tom a eu un choc. Ce Breton d'origine, écolo convaincu, a constaté avec étonnement qu'il n'y avait aucun magasin bio dans cette ville de près de 70 000 habitants.

« J'ai habité dans pas mal d'endroits comme Rennes, Brest, Compiègne ou Nancy - et c'est la première fois que ça m'arrive, confirme ce bibliothécaire. Pour moi, grande ville était nécessairement synonyme d'enseignes bio. »

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Une situation que ce trentenaire peine à s'expliquer. « Je pense pourtant qu'il y a un marché, estime-t-il. Mais j'imagine que les marques se disent qu'il n'y a pas de public pour ce type de produits dans une ville populaire comme Evry-Courcouronnes. »

Des magasins « là où le pouvoir d'achat est important »

La ville-préfecture de l'Essonne n'est pas un cas isolé. Saint-Denis, la ville la plus peuplée de Seine-Saint-Denis avec ses quelque 111 130 âmes, ne compte aucun des grands groupes spécialisés dans le bio, comme Naturalia, Biocoop, La Vie Claire… En dehors des rayons bio des grandes surfaces, une seule épicerie indépendante existe dans cette commune. Et les exemples peuvent se multiplier dans les territoires d'Ile-de-France les plus défavorisés.

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Comment dès lors expliquer une telle absence alors que les produits bios sont de plus en plus plébiscités par les Français.

« Il y a encore 10 ou 15 ans, le bio était réservé à une élite ou à des militants, ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui, concède Yoann Haziza, le directeur général adjoint de Naturéo, une enseigne implantée exclusivement dans des zones périurbaines. Mais encore aujourd'hui toutes les analyses montrent que l'appétence pour le bio est beaucoup plus forte chez les CSP + (catégories socioprofessionnelles supérieures, NDLR). »

Le groupe - qui compte une cinquantaine de magasins en France, dont la moitié en Ile-de-France - cherche donc d'abord à s'installer dans des endroits « avec un fort bassin de population » et « où le pouvoir d'achat est le plus important possible ».

« Notre stratégie, c'est d'être partout et pour tous »

Pourtant, des supermarchés Naturéo ont par exemple ouvert dans les zones commerciales de Corbeil-Essonnes (91) et de Fresnes (94), deux villes plutôt populaires. « Ces magasins sont installés dans des endroits qui drainent beaucoup de flux, justifie le directeur adjoint. Des gens y viennent de loin, avec souvent un pouvoir d'achat plus important. Cela n'a jamais été notre critère premier de s'implanter dans des zones populaires. »

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Du côté de Biocoop, l'un des leaders du secteur, la philosophie semble différente. « Notre stratégie, c'est d'être partout et pour tous, assure Gilles Baucher, le directeur de ce réseau créé en 1986, qui compte 78 magasins en Ile-de-France. C'est une question de temps. Nous sommes présents à Paris comme en périphérie. Nous avons d'ailleurs une Biocoop qui devrait bientôt ouvrir à Saint-Denis. »

Ce professionnel tient par ailleurs à rappeler que le premier magasin parisien, Canal Bio, a été ouvert il y a 20 ans dans le XIXe arrondissement. « Et je peux vous certifier qu'à l'époque, c'était loin d'être un quartier bobo, abonde-t-il. La plupart des premiers magasins se trouvaient d'ailleurs dans des quartiers populaires en raison du coût du foncier. »

De quoi envisager l'implantation d'une Biocoop à Evry-Courcouronnes ? « Nous sommes un réseau d'indépendants, rappelle Gilles Baucher. Si demain, nous avons un porteur de projet local qui veut en ouvrir une dans cette ville, nous serons tout à fait partants. »

« L'accessibilité sociale du bio reste un problème »

Une piste qui devrait intéresser la commune. Car dans les prochaines semaines, la première adjointe, Danielle Valéro (sans étiquette) et d'autres membres de la majorité avaient justement prévu d'aller démarcher eux-mêmes des enseignes bio.

« Je ne comprends pas qu'il y en ait aucune, s'insurge cette élue, notamment en charge de la transition écologique et sociale. Les enseignes doivent se dire qu'elles ne vont pas faire recette ici mais c'est faux. Il y a une demande, sinon il n'y aurait pas de rayon bio au Carrefour d'Evry 2. »

Pour elle, cette absence pose aussi la question de l'accès au bio. « Qu'est-ce que cela veut dire ? Que les gens n'ont pas le droit de consommer des produits de qualité ici, grince-t-elle. L'égalité de territoires doit aussi passer par là. »

En attendant, Tom continue à enfourcher son vélo chaque semaine pour aller faire ses courses à Corbeil-Essonnes, dans le magasin bio le plus proche. Avec d'autres habitants, il réfléchit également à ouvrir une épicerie bio et sociale avec des produits à prix coûtants.

Une alternative qui pourrait permettre de démocratiser encore un peu plus le bio. « L'accessibilité sociale de ces produits reste un véritable problème, avec des freins à la fois d'ordre financier, pratique, et culturels au sens large », analyse Claire Lamine, sociologue et directrice de recherches à l'Inra (Institut national de la recherche agronomique).

Or, selon cette chercheuse, « cette question doit aussi être prise en charge par l'action publique » avec, entre autres, du bio dans les menus des cantines ou des ateliers de cuisine dans les centres sociaux.

 

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