samedi 24 octobre 2020

RELAXE EN APPEL DE 3 POLICIERS CONDAMNES : "UN BIEN MAUVAIS SIGNAL".

Violences sur mineurs du XIIe arrondissement parisien: trois policiers relaxés en appel

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Trois policiers condamnés en première instance pour violences aggravées sur des adolescents ont été relaxés ce vendredi par la cour d'appel de Paris. Les preuves, pourtant, ne manquaient pas dans ce dossier.

C’est un bien mauvais signal aux victimes de violences policières que viennent d’adresser des magistrats de la cour d’appel de Paris ce vendredi : ils ont relaxé purement et simplement trois policiers qui avaient été condamnés en première instance à des peines (légères) de cinq mois de prison avec sursis pour « violences aggravées » sur des adolescents.

Les preuves, pourtant, ne manquaient pas dans ce dossier : photos, certificats médicaux, témoins, enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN)… Alors, qu’a voulu dire la cour d’appel ? Le président de la 7e chambre n’a pas pris la peine d’expliquer la motivation de sa décision, et les avocats des adolescents ne disposaient même pas hier soir de l’arrêt qui permettrait de répondre à cette question.

Les poursuites judiciaires avaient pourtant été limitées au strict minimum. Initialement, en décembre 2015, dix-huit jeunes du XIIe arrondissement de Paris avaient saisi la justice de plusieurs dizaines de faits de violences volontaires aggravées, agressions sexuelles aggravées, arrestations arbitraires, séquestrations, destructions de biens, discrimination et abus d’autorité, commis depuis au moins 2013. L’affaire se déroule dans le quartier situé entre l’allée Vivaldi, la rue Érard et la dalle Rozanoff (entre les stations de métro Montgallet et Reuilly-Diderot). Mediapart y a consacré plusieurs enquêtes (lire ici, ou encore ).

 

Capture d'écran d'un enregistrement vidéo effectué par la caméra-piéton d’un groupe de policiers parisiens dans le XIIe arrondissement de Paris. © Document Mediapart Capture d'écran d'un enregistrement vidéo effectué par la caméra-piéton d’un groupe de policiers parisiens dans le XIIe arrondissement de Paris. © Document Mediapart
 

Onze policiers du Groupe de soutien des quartiers (GSQ) du XIIe arrondissement, bien connus des jeunes et pour certains identifiés par leur nom, étaient alors visés. À chaque fois, la scène relatée débute par un prétendu contrôle d’identité qui dérape gravement : papiers jetés au sol, propos racistes, palpations abusives visant les parties génitales voire « doigts dans les fesses », téléphones portables fouillés ou jetés dans les égouts, claques, coups de matraque et visages aspergés de gaz lacrymogène lorsque les jeunes protestent.

Les humiliations et les violences décrites se poursuivent parfois, selon les plaignants, au commissariat du XIIe arrondissement. Plusieurs affirment y être régulièrement embarqués par les « tigres » du GSQ  pour des motifs jugés « bidon » – refus d’obtempérer, rébellion, outrage, crachats, tapage nocturne –, fouillés à nu, gazés et frappés avant d’être remis à leurs parents. Cela alors que les policiers les connaissent et n’ont pas besoin de vérifier leur identité.

L’enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris était confiée à l’IGPN. Une quinzaine de jeunes livraient alors des témoignages saisissants, et une dizaine de policiers du GSQ Paris 12 étaient identifiés. Au terme de cette enquête, le parquet passait le dossier au tamis. Une quarantaine de faits étaient classés sans suite faute de preuves suffisantes, et quatre policiers seulement étaient renvoyés en correctionnelle pour trois faits qualifiés de « violences aggravées ».

Les images filmées par la caméra-piéton d’une policière (dont Mediapart a révélé des extraits) – ont donné du crédit à la thèse d’un harcèlement policier et d’une discrimination systématique. Pourtant, les policiers concernés n’ont pas été mis à l’écart, et les adolescents ayant porté plainte ont subi des mesures de rétorsion.

Le procès en première instance (lire nos comptes-rendus ici, et encore ) s’était heurté à l’amnésie collective des quatre policiers jugés. Selon eux, tout s’est toujours passé dans les règles de l’art pour « évincer les perturbateurs indésirables ». Aucune faute à se reprocher. « Je ne vois pas comment », « C’est impossible », « Ça ne s’est pas du tout passé comme ça » étaient leurs leitmotive. Mais au vu de l’épais dossier et des dépositions des jeunes plaignants, le tribunal correctionnel avait condamné trois des policiers, le quatrième étant relaxé en l’absence d’éléments de preuves suffisants.

Cette affaire a donné lieu à une autre procédure, contre l’État cette fois-ci. Elle a été débattue le 1er octobre devant la Ire chambre civile du tribunal de Paris. Les avocats des adolescents ont plaidé que les pratiques illégales répétées de policiers du XIIe arrondissement de Paris contre des adolescents discriminés en raison de leur apparence constituent une faute lourde de l’État qui demande réparation. La procédure vise le ministre de l’intérieur et l’agent judiciaire de l’État pour des faits de « harcèlement discriminatoire ».

L’État a déjà été condamné pour des contrôles au faciès, ont rappelé les défenseurs des adolescents. L’avocat du Défenseur des droits a partagé leur analyse la discrimination systémique. Il a rappelé qu’en l’absence de récépissé de contrôle d’identité, et de procédure après chaque contrôle d’identité, les adolescents n’ont pas d’autres preuves que les contrôles subis étaient illégaux.

La Ire chambre civile doit rendre sa décision le 28 octobre.

 

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